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RESTE UN PEU

Un film de Gad Elmaleh.

 

 

Au commencement, il y avait Casablanca, là où Gad Elmaleh passa son enfance. Là-bas, nous dit-il en voix off, musulmans, juifs et chrétiens vivaient en bonne intelligence, à cette époque-là. Mais, pour les musulmans comme pour les juifs, il demeurait un interdit que les parents inculquaient à leurs enfants : entrer dans une église. Or, on sait bien qu’il suffit  qu’une interdiction soit édictée pour qu’aussitôt on soit tenté de la transgresser. Et c’est ainsi qu’un jour, le petit Gad, accompagné de sa sœur, osèrent franchir le seuil d’une des églises de Casablanca. Ils y trouvèrent une statue de la Vierge qui fit forte impression sur Gad alors qu’elle laissait insensible sa sœur.

Ce que Gad éprouva ce jour-là, il le garda secret mais ne l’oublia jamais. Qui plus est, le voici qui, à l’âge de 50 ans, après avoir passé quelques années aux États-Unis, revient au bercail, chez ses parents, des juifs sépharades pieux qui, désormais, résident à Paris, avec, dans sa valise, une statue de Marie ! « Reste un peu », lui dit sa mère, comme elle le lui a répété si souvent au long de sa vie. Une mère attentionnée qui, voulant mettre un peu d’ordre dans la chambre qu’occupe son fils, y découvre, emballée dans un linge qu’elle retire par curiosité, la statue au goût douteux, médiocrement saint-sulpicienne, l’objet intouchable par excellence pour la juive qu’elle est, tout comme pour son mari appelé à la rescousse.

Il faut se faire une raison : le petit Gad que la représentation de la Vierge avait fasciné est devenu le grand Gad qui, convaincu que Marie veille sur lui, s’est engagé sur un chemin de catéchuménat, ce qui veut dire que, s’il persiste, il sera baptisé. Pour l’accompagner, il peut compter sur le soutien d’une religieuse et d’un prêtre (frère de St Jean), des autres catéchumènes (dont un homme d’origine musulmane passé par le protestantisme, sans doute dans une Église dissidente puisqu’il se prépare à être baptisé selon le rite catholique) ainsi que d’une jeune catholique qui lui a tendu une bougie dans une église et avec qui il a noué une relation amicale.

Dans la période éprouvante que traverse les catholiques à l’heure actuelle, après tant de scandales impliquant des membres du clergé, parmi lesquels des évêques, ce film donnera peut-être à certains spectateurs, en particulier aux catholiques, un sentiment rassurant. Tiens ! Voici un juif qui nous fait du bien, à nous, les pauvres catholiques désemparés que nous sommes ! Et, après tout, le salut ne vient-il pas des juifs ? La religieuse et le frère de St Jean et la jeune catho rencontrée dans une église, ne sont-ils pas tous sympas ? Dommage que Gad Elmaleh ait cru bon d’intégrer à son film une scène tourné dans une abbaye avec des moines à l’air revêche ! Enfin, il faut bien qu’il y ait quelques exceptions…

J’écris ce qui précède sur un ton volontairement ironique car, en vérité, ces impressions sont fallacieuses. Car si le prêtre et la religieuse qui jouent leur propre rôle dans le film (comme tous les autres « personnages » d’ailleurs) ne sont pas dépourvus de bienveillance (c’est la moindre des choses), force est de reconnaître qu’ils apparaissent comme les interlocuteurs les plus falots, les plus inintéressants, les plus convenus de cette histoire. Aucune de leurs réparties ne m’a semblé échapper tant soit peu à la banalité. On en vient même à se demander par quel mystère Gad Elmaleh persiste à échanger avec des personnages aux propos aussi quelconques.

L’autre point critique du film concerne le parcours de foi de Gad Elmaleh lui-même. Il convient, bien sûr, de respecter la part la plus intime de ce cheminement. Mais comment ne pas s’interroger à propos de l’évidente mariolâtrie de notre brave catéchumène ? Non seulement c’est Marie qui le fascine depuis le jour où il est entré dans une église à Casablanca, mais il n’y a apparemment de place que pour elle. De ce point de vue, deux scènes du film paraissent symptomatiques. La première se situe dans l’abbaye trappiste où Gad Elmaleh fait une retraite. Alors qu’il veut se coucher dans le lit spartiate qui lui a été attribué, le crucifix placé au-dessus de sa tête se décroche et tombe. Après quoi, le retraitant, voulant le remettre à sa place, n’y parvient qu’à grand peine, comme si, précisément, il n’y avait pas véritablement d’espace pour le Christ dans sa foi. C’est Marie qui occupe tout l’espace. L’autre scène concerne le cadeau que Gad Elmaleh reçoit de sa mère lors d’une des scènes finales du film, un cadeau (dont je ne peux dévoiler la teneur) qui mériterait quasiment une interprétation psychanalytique.

En fin de compte, disons-le clairement, si ce film peut susciter de l’intérêt, ce n’est pas tant dans sa facette strictement catho que dans sa facette judaïque. Les scènes, de beaucoup les plus intéressantes et les plus touchantes, sont celles que Gad Elmaleh a tournées avec sa propre famille, ses parents, sa sœur, ainsi que celles qu’il a tournées avec ses amis ou avec les rabbins, dont Delphine Horvilleur qui tient des propos on ne peut plus sensés (le judaïsme a beau ressembler à une maison bancale, quand on en fait partie, on ne peut jamais vraiment la quitter). Dans le registre de ses questionnements, de ses doutes, de ses atermoiements, comme dans celui de la construction d’une identité en partie nouvelle, le film propose nombre de scènes d’un intérêt évident et qui, toutes, font mouche, y compris lorsqu’un des interlocuteurs du catéchumène lui rappelle le sort qu’avait réservé aux juifs sépharades la reine de Castille Isabelle la Catholique (1451-1504) qui les avait tous chassés du territoire.  Sur le terrain de ses interrogations, Gad Elmaleh excelle à en rendre compte, autant que quand il exécute ses numéros comiques sur scène, numéros qui, eux-mêmes, questionnent les religions. À cela s’ajoutent des plans de toute beauté, ceux que Gad a filmé dans l’intimité familiale, montrant, par exemple, son père et sa mère dans leur lit en train de chanter.

Pour résumer mon propos en une phrase, disons que si l’on me proposait de « rester un peu » avec certains des personnages de ce film, je me tournerais bien plus volontiers vers Gad et sa famille ou vers quelqu’un aux paroles aussi judicieuses que Delphine Horvilleur plutôt que vers les cathos bon teint mais très convenus qui apparaissent à l’écran (et qui font bâiller d’ennui !). Cela est dit !  

7/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Eglise
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