Un film de Guillermo Del Toro et Mark Gustafson.
« Et encore une adaptation de Pinocchio ! », était-on tenté de se dire, en poussant un soupir de lassitude, lorsque fut annoncée sur Netflix cette énième version du célèbre conte de Carlo Collodi. Cette année même, en septembre, était proposé sur Disney+ un film signé Robert Zemeckis. Depuis le fameux dessin animé de Disney de 1940, une dizaine de films ont été réalisés sur ce même sujet, dont celui de Luigi Comencini (1972) et celui de Roberto Benigni (2002), deux réussites parmi beaucoup de déceptions.
Que pouvait donc apporter de neuf sur cette histoire rebattue même quelqu’un d’aussi doué que Guillermo Del Toro ? Or, celui-ci rêvait de s’y frotter depuis longtemps et force est de constater que son obstination a payé, car il signe là, sans aucun doute, l’une des meilleures (voire la meilleure) versions cinématographiques des aventures de l’illustre pantin de bois. Une fois de plus, l’inventivité du réalisateur mexicain fait mouche et cette histoire, que l’on croyait connaître par cœur, se dévoile dans des aspects inédits.
D’abord, il convient de saluer cette idée formidablement gagnante : mettre en scène les aventures de Pinocchio en stop-motion, autrement dit au moyen de marionnettes filmées image par image, ce qui représente d’un côté une contrainte mais de l’autre une plus grande liberté, ce dont ne se prive pas le cinéaste, qui parsème d’ailleurs le film de prises de vue étonnantes. Le film est coréalisé avec un expert de cette technique du stop-motion, Mark Gustafson.
Mais tout n’est pas seulement affaire de technique. Guillermo Del Toro réussit surtout le pari de rendre touchant et émouvant le pantin de bois, plus qu’il ne l’a jamais été dans aucun autre film (alors que nous avons affaire à des marionnettes, répétons-le). D’autre part, en insistant sur la mort de Carlo, le « grand frère » de Pinocchio, l’enfant de Gepetto, mort dans une église bombardée, au cours de la Première Guerre mondiale, église où il était entré pour voir le Christ en croix que sculptait son père, en soulignant l’origine de Pinocchio, lui-même sculpté dans le bois d’un arbre qui avait poussé sur la tombe du garçon, Guillermo Del Toro imprègne tout le film d’une thématique centrée sur la mort et sur la vie (mort et résurrection, pourrait-on dire).
Tout en donnant au film des allures de conte musical (plusieurs scènes sont chantées), le cinéaste confronte son personnage à un certain nombre de protagonistes inquiétants ou, parfois, monstrueux sans être forcément « méchants ». Le pantin qui voudrait devenir un vrai petit garçon et dont le nez s’allonge chaque fois qu’il ment, le plus souvent accompagné par son fidèle criquet, s’aventure sur un chemin de désobéissance que le cinéaste se garde de désapprouver totalement. En l’occurrence, la désobéissance pourrait même être une vertu, sachant que Guillermo Del Toro a choisi de situer l’histoire de Pinocchio dans une temporalité bien précise, celle de l’Italie gouvernée par Mussolini (lui-même apparaissant, lors d’une séquence, sous forme d’un nabot grotesque). Dans cette Italie fasciste où l’on embrigade des enfants pour en faire des petits guerriers en herbe, Pinocchio fait figure de malicieux rebelle. Sans priver le récit ni de sa poésie ni de ses extravagances, Guillermo Del Toro gagne avec brio le pari de l’orienter dans un sens ouvertement politique, clairement antifasciste. On ne s’en plaindra pas.
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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PINOCCHIO PAR GUILLERMO DEL TORO Bande Annonce VF (Nouvelle, 2022)
✩ Les Films à VOIR ? Ils sont ICI ► https://www.youtube.com/playlist?list=PL843D2ED8D80FA673 PINOCCHIO PAR GUILLERMO DEL TORO Bande Annonce VF (Nouvelle, 2022) Film d'Animation © 2022 - Netflix