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16 ANS

Un film de Philippe Lioret.

 

 

Une des grandes forces du cinéma de Philippe Lioret, c’est la qualité de la direction d’acteurs. Le cinéaste a prouvé ses talents dans ce domaine lorsque, dans plus d’un de ses films, il a dirigé des acteurs confirmés, comme Mélanie Laurent et Kad Merad (Je vais bien, ne t’en fais pas), Vincent Lindon (Welcome) ou Pierre Deladonchamps (Le Fils de Jean). Il en fait la démonstration à nouveau mais, cette fois-ci, uniquement avec des acteurs non professionnels ou inconnus du grand public. Or, dans ce film comme dans les précédents, il n'y a pas un moment de flottement, encore moins une impression de fausse note. On imagine la somme de travail qu’il a fallu effectuer en amont (ce que Philippe Lioret en personne laissait entendre à la séance à laquelle j’assistais en avant-première et en présence d’une partie de l’équipe du film), mais le résultat est là et les jeunes acteurs qui sont au cœur de ce film subjuguent le spectateur.

Pour ce film-ci, Philippe Lioret a trouvé son inspiration dans un des chefs d’œuvre immortels de la littérature : Roméo et Juliette. Il en caressait le projet depuis longtemps et c’est maintenant chose faite. La pièce de Shakespeare, qui a déjà été adapté de plusieurs manières (entre autres dans West Side Story) se prête à merveille, il est vrai, à une relecture d’allure contemporaine. Nous ne sommes donc pas à Vérone au XVIème siècle mais, plus prosaïquement, au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne) de nos jours (l’on voit ainsi, plusieurs fois au cours du film, des militaires en patrouille dans le cadre de l’opération « Vigipirate »). Néanmoins, comme dans la pièce de Shakespeare, ce sont bien deux familles de cette ville qui sont amenées à s’opposer l’une contre l’autre, deux familles de milieux sociaux très différents, à tout point de vue (y compris culturel, et l’on retrouve la fibre sociale de Philippe Lioret, présente dans nombre de ses films), deux familles qui, si les circonstances n’en avaient pas décidé autrement, auraient dû, en toute logique, s’ignorer totalement.

Oui mais, comme le montre aussi, à sa manière, Le Tourbillon de la Vie, un autre film qui vient de sortir sur les écrans, il suffit de pas grand-chose pour que les vies bifurquent sur un chemin inattendu. Dans le film de Philippe Lioret, il y a une conjonction de plusieurs facteurs. D’une part, il y a le « Roméo » du film, prénommé ici Léo (Teïlo Azaïs), qui, alors que ses parents sont en capacité de l’inscrire dans un lycée privé, préfère rejoindre les bancs de l’enseignement public où il rencontre sa « Juliette » prénommée ici Nora (Sabrina Levoye). D’autre part, il se trouve qu’un des employés de l’hypermarché local (dont le directeur n’est autre que le père de Léo, joué par Jean-Pierre Lorit) est Tarek (Nassim Lyes), le frère de Nora, un garçon pris à la gorge par les dettes qu’il doit rembourser à des caïds. Aussi, quand, à l’hypermarché, un chef de rayons constate la disparition d’une bouteille de vin de grande valeur et qu’il fait porter des soupçons de vol sur Tarek, ce qui conduit le directeur à le licencier, le voilà furieux et en mauvaise posture (sans emploi alors qu’il a un grand besoin de gagner de l’argent). De l’autre côté aussi, tout se dégrade rapidement : une expédition punitive et destructrice des « amis » de Tarek venu semer le désordre dans l’hypermarché conduit les administrateurs du groupe à demander à Franck, le père de Nora, de se retirer, au moins temporairement, de la direction, ce que celui-ci prend très mal. Dès lors, des deux côtés, grandissent le sentiment de colère et l’envie d’en découdre.

Comment, dès lors, pourrait-on accepter, de part et d’autre, l’histoire d’amour qui naît et grandit entre Nora, la fille d’immigrés maghrébins qui habite dans une barre d’immeuble d’un quartier sensible, et Léo, le fils d’un couple plutôt aisé, habitant une résidence avec piscine ? La tragique destinée qui découle de ce que je viens d’expliquer (à quoi il faut ajouter les coutumes maghrébines concernant l’éducation des filles, mais aussi le rôle de l’un ou l’autre mouchard qui va tout raconter à Tarek) semble inéluctable. Il y a comme une réminiscence des tragédies grecques, avec le poids du destin contre lequel on ne peut rien, tant certains protagonistes semblent comme englués dans leurs préjugés. Léo et Nora qui, de toutes leurs forces, de toute leur énergie, veulent se libérer de tous les carcans, surmonter les obstacles, braver les interdits, pour pouvoir vivre leur amour peuvent-ils échapper à tout déterminisme ?

Ecrit subtilement, en respectant, avec inventivité, les scènes les plus célèbres de Roméo et Juliette (entre autres la fameuse scène du balcon, ici transposée en dialogues par écrans de téléphones interposés, Léo se trouvant au pied de la barre d’immeuble où habite Nora), Philippe Lioret interroge nos comportements et nos réflexes sur des questions comme celle du racisme larvé de notre société ou de la place des femmes dans des familles encore très patriarcales. Il le fait en se gardant de donner des leçons, mais néanmoins avec efficacité. Son film, au final bouleversant, avec une touche d’absurde, marquera sûrement durablement toutes celles et tous ceux qui le verront.  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Drame
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