Un film de Emanuele Crialese.
Sur le toit d’un immeuble, une préadolescente de douze ans aux allures de garçon, après s’être ingéniée à entrecroiser des fils à linge, se place au milieu de l’entrelacs, lève les bras au ciel et demande un signe… qui ne vient pas. On apprend bientôt qu’elle se prénomme Adriana, qu’on l’appelle affectueusement Adri et qu’elle aime bien changer son prénom en celui d’Andrea. Elle est l’aînée d’une fratrie de trois (en plus d’elle, un garçon et une fille) que nous découvrons aussitôt en compagnie de leur mère Clara (Penelope Cruz), une Espagnole qui a épousé un Italien et est donc venu vivre à Rome. Bientôt, le réalisateur propose une des scènes les plus enthousiasmantes et les plus enjouées du film : la mère et les trois enfants préparent la table familiale au son d’une musique rythmée, tout en se livrant à une éblouissante chorégraphie.
Nous sommes dans les années 1970, comme nous l’indiquent plus d’un des éléments du film, par exemple la télévision en noir et blanc sur laquelle la famille regarde volontiers des émissions de variété. Mais l’on comprend bientôt que la mère sombre, de plus en plus, dans la dépression. Si elle reste, autant qu’il est possible, très attentive à ses enfants, elle s’agace vivement d’un mari dont elle sait qu’il la trompe sans vergogne. Les scènes (qui sont aussi scènes de ménage) entre les deux époux comptent, il faut le dire, parmi les plus faibles du film, tant elles manquent d’originalité. On a presque le sentiment qu’elles ne sont que le recyclage de mille autres films déjà vus.
Le plus intéressant est ailleurs, d’une part dans le jeu sans faille de Penelope Cruz, d’autre part et surtout dans le traitement cinématographique réservé aux trois enfants. Ce sont eux, et particulièrement Adri, qui sont placés au cœur du film. Le réalisateur réussit à merveille à mettre en évidence leur esprit d’aventure ainsi que leur pouvoir d’imagination. Sur ces terrains-là, Adri ne manque pas de ressources, surtout quand il s’agit de transgresser des interdits : dérober des hosties consacrées pour les consommer en espérant un miracle, se hasarder dans des souterrains avec des camarades de jeu au grand affolement des mères qui retrouvent leurs rejetons dans une situation périlleuse, ou même simplement se glisser sous la table et y ramper lors d’un repas festif. Et puis, il y a une forêt de roseaux que Clara a interdit de traverser, ce que Adri ne saurait respecter, d’autant plus que, de l’autre côté, elle s’est trouvé une amie de son âge qui la prend pour un garçon. Instants de trouble et de bonheur furtif pour une enfant qui se plaît, quand tout est triste ou morne, à s’évader par l’imagination. Ce pouvoir-là est grand : il lui permet, par exemple, d’imaginer l’église où elle subit un ennuyeux office se changeant en salle de spectacle à chanter et à danser : c’est autrement plus stimulant !
7,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.