DE GRANDES ESPÉRANCES

27 Mars 2023

Un film de Sylvain Desclous.

Ils sont jeunes, beaux et amoureux et ils ne manquent pas d’ambitions quant à leur future carrière dans la politique. Madeleine (Rebecca Marder) et Antoine (Benjamin Lavernhe) n’en oublient pas pour autant de prendre un peu de vacances ensemble, en Corse, en profitant d’une maison de famille appartenant aux parents de ce dernier. On y débat volontiers de politique, on s’y affronte même. Pour les deux jeunes gens, tout semble tracé d’avance, ils ont la volonté et le charisme nécessaires pour réussir dans leur domaine.

Or, un jour où Madeleine et Antoine circulent ensemble sur une route secondaire, ils font une rencontre qui tourne mal. Un automobiliste qu’Antoine a dépassé après avoir actionné son klaxon et en lui faisant, en prime, un doigt d’honneur accélère et dépasse à son tour la voiture de ce dernier pour le forcer à s’arrêter. L’altercation qui s’ensuit dégénère à tel point qu’elle s’achève dramatiquement pour le conducteur corse. Pour Madeleine et Antoine, le risque, ce n’est rien moins que la prison : une peine à laquelle tous deux vont désormais s’efforcer d’échapper en dissimulant des preuves de leur forfait et en s’engageant résolument dans le mensonge.

En partant de ce drame, le réalisateur déploie avec pas mal de talent les ingrédients habituels d’un excellent thriller, mais avec cette originalité que tout se déroule dans le contexte de la politique à la française, un contexte exploité de façon extrêmement habile. Issus de milieux sociaux très différents (elle d’une famille défavorisée, lui d’une famille aisée), Madeleine et Antoine, tous deux candidats à l’ENA, ne tardent pas à se séparer, sur le plan humain comme sur le plan politique. Et lorsque leurs chemins, par la force des choses, doivent se croiser à nouveau, ce n’est certes pas pour renouer des liens affectueux, même si, hypocritement, Antoine semble, à une occasion, en faire la demande.

Le monde politique, tel que le met en scène Sylvain Desclous, n’a rien de très reluisant, il faut le dire. Cela étant, tout en restant au plus près des personnages et en tenant constamment en haleine le spectateur, mine de rien, le cinéaste pose de bonnes questions. Peut-on, aujourd’hui encore, non seulement défendre des idées de gauche mais les mettre en pratique ? À quelles compromissions est-on forcé de se soumettre, même quand on se réclame de la gauche ? Est-il licite d’être immoral au nom de l’intérêt général ?

Rassurons-nous cependant, tout en se nourrissant de ce genre de questions, le film reste toujours captivant et il est servi par des acteurs parfaitement convaincants. Rebecca Marder, qui semble être devenue l’une des actrices les plus prisées du cinéma français (on ne s’en plaindra pas !), est parfaite, dans un rôle qui ne manque pas de complexité. Elle est fort bien entourée par, entre autres, Benjamin Lavernhe et Emmanuelle Bercot.

8/10

Luc Schweitzer