Un roman de Julian Barnes.
Ce livre de l’écrivain britannique Julian Barnes s’inspire très précisément et très consciencieusement de la vie du grand compositeur russe Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch (1906-1975). Néanmoins, il n’est pas inexact d’en parler comme d’un roman et pas seulement comme d’une biographie, d’autant plus que, comme l’explique l’auteur dans une note de fin de volume, certains épisodes de la vie du compositeur, racontés par lui-même, le furent en plusieurs versions successives, remaniées et « améliorées » au fil du temps. De plus, ajoute Julian Barnes, « la vérité était une chose difficile à trouver, et plus encore à affirmer, dans la Russie de Staline. »
Cela étant dit, il ne fait pas de doute que l’approche proposée par le romancier britannique donne une impression de grande justesse du propos. Julian Barnes a surtout parfaitement réussi, m’a-t-il semblé, à rendre compte des angoisses, des tourments intimes, d’un homme qui, tout au long de sa vie, fut surveillé, de manière particulière, par les autorités de son pays.
Cette surveillance étroite, et la peur qui en fut l’une des conséquences, trouva son origine en la mémorable soirée du 26 janvier 1936, à l’occasion d’une représentation de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk, représentation à laquelle assistait Staline en personne, entouré de hauts dignitaires. Or, avant même la fin de l’opéra, tout ce monde quitta la loge. Dès le lendemain, un article de la Pravda accusait Chostakovitch de « déviationnisme élitiste et bourgeois ». Quelques jours plus tard, le maréchal Toukhatchevski, ami et protecteur du compositeur, était arrêté, accusé de complot, puis exécuté. À la suite de ces événements, pendant des jours, Chokaskovitch fut convaincu que ce serait bientôt son tour. Ce ne fut pas le cas, l’étau se desserra, mais la peur ne disparut jamais totalement.
Julian Barnes parvient à merveille, au moyen de trois grands chapitres, à évoquer des grands moments de la vie du compositeur, tout en sondant, autant que faire se peut, les pensées profondes de l’homme, ses lâchetés, ses doutes, ses remords, ses hésitations, son courage aussi, ses amitiés et ses inimitiés. Il est question non seulement des hommes de pouvoir, mais des rapports de Chostakovitch avec ses proches, ses trois épouses successives, son fils Maxime, ainsi que de quelques autres compositeurs de ce temps-là, Tikhon Khrennikov (1913-2007), un valet du pouvoir, Igor Stravinsky (1882-1971) considéré comme un traître par les Soviétiques et Sergueï Prokofiev (1891-1953).
Même après la mort du tyran Staline, Chostakovitch ne put jouir de la paix, de la tranquillité d’esprit dont il aurait tant voulu pouvoir profiter. Son opéra maudit Lady Macbeth de Mzensk, ne fut à nouveau mis à l’affiche que très tardivement. Mais surtout, à l’époque de Nikita Khrouchtchev, l’on força le compositeur, de manière habile et retorse, à adhérer au parti communiste, ce qu’il n’avait jamais voulu faire auparavant. Homme mortifié, en proie à de nombreux doutes, Chostakovitch n’en fut pas moins un compositeur de génie dont on écoutera peut-être les œuvres avec une oreille différente après avoir lu le livre de Barnes, un livre qui nous renvoie tous à nos propres faiblesses : qu’aurions-nous fait à la place de Chostakovitch ? Sans doute pas mieux que lui.
8/10
Luc Schweitzer
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