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LE POLICIER QUI RIT

Un roman de Maj Sjöwall et Per Wahlöö.

 

Les nombreux lecteurs amateurs de polars scandinaves et, en particulier, suédois le savent : le fameux « modèle nordique » est loin d’être aussi idyllique que d’aucuns le prétendent. Les nombreux auteurs de polars des pays du nord nous le disent avec une telle constance et une telle insistance qu’il paraît difficile de persister dans des illusions à ce sujet. Cette remise en cause d’un prétendu idéal venu de Suède ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui. Dès les années 1960, Maj Sjöwall et Per Wahlöö, le couple d’auteurs qui initièrent le genre du polar nordique, se firent un devoir de mettre en évidence l’envers du décor de leur pays.

Dans Le Policier qui rit, leur quatrième roman, paru en 1968, les auteurs ne tardent pas à nous mettre dans le bain, si l’on peut dire. Après un premier chapitre décrivant une manifestation d’opposants à la guerre du Vietnam, ils nous font entrer frontalement dans le vif du sujet : le massacre de tous les passagers d’un bus assassinés à coups de pistolet mitrailleur. Parmi les victimes, figure Åke Stenström, un policier de la brigade criminelle dont ses collègues, dès que démarre l’enquête, se demandent ce qu’il faisait là.

Bien sûr, nous avons affaire à l’ensemble des personnages récurrents de la série des polars écrits par Sjöwall et Wahlöö, à commencer par l’inspecteur Martin Beck, le prototype de beaucoup des personnages du même style qui seront imaginés, par la suite, par d’autres auteurs (ainsi le Kurt Wallander de Henning Mankell). Homme désabusé, toujours enrhumé, inspecteur certes capable de sagacité mais aussi d’aveuglement, Martin Beck tranche avec les héros des livres policiers du passé.

La couleur propre aux romans de Sjöwall et Wahlöö vient aussi de l’attention portée aux signes des temps et à la volonté de sonder l’envers du décor de la société suédoise. Pour ce faire, rien de tel, évidemment, qu’une histoire policière. Même le rôle de la police est questionné par nos deux auteurs, qui se font un devoir, tout en conservant une intrigue presque conventionnelle dans le genre qu’ils illustrent, celui du Whodunit (en l’occurrence, qui est l’auteur du massacre perpétré dans le bus ?), de la dépasser par toutes sortes de remarques pertinentes à la fois sur les différents protagonistes et sur la société dans laquelle ils évoluent.

Même si l’on peut estimer que, parfois, l’enquête piétine un peu trop, nos auteurs savent la conduire comme il faut, tout en s’autorisant d’intéressantes analyses sur les signes des temps. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, cette phrase sur les préparatifs de la fête de Noël : « Bien qu’il y eût plus d’un mois à attendre avant Noël, l’orgie publicitaire avait déjà démarré et la frénésie d’achats se propageait, aussi rapide et impitoyable que la peste noire, dans les rues commerçantes décorées de guirlandes. » (Qu’écriraient donc nos auteurs aujourd’hui ?) Mais bien d’autres aspects, beaucoup plus sombres, de la société de leur pays apparaissent au fil des pages d’un roman qui, même après tant d’années, n’a perdu ni sa pertinence ni son intérêt.  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Livres, #Romans, #Polar
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