Un film de Kelly Reichardt.
Par quel miracle Kelly Reichardt parvient-elle, de film en film, à rendre si attrayants des longs-métrages qui ne montrent que des scènes banales de la vie quotidienne ? J’emploie le mot « miracle » tout en sachant pertinemment qu’il n’y a rien de fabuleux là-dedans sinon par la volonté expresse de rejeter le sensationnalisme pour ne s’attacher qu’aux choses les plus ordinaires. Cela pourrait donner quelque chose de trivial, mais au contraire, on a le sentiment de percevoir les gestes les plus simples de la vie comme si c’était de l’inédit. Sur ce terrain-là, on peut faire confiance à Kelly Reichardt, son regard est si affûté que tout apparaît comme neuf.
Dans Showing up, la cinéaste propose une sorte d’autoportrait déguisé en s’attachant à mettre en scène le quotidien de Lizzie, une artiste céramiste vivant et travaillant à Portland aux côtés d’un collectif d’autres artistes. Dans ce rôle, l’on retrouve Michelle Williams, déjà présente dans plusieurs autres films de Kelly Reichardt, une actrice sachant à merveille habiter ce personnage d’artiste en proie aux doutes, au mal-être, aux affres de la création. Concrètement, cela se traduit par des relations plus ou moins tendues avec son entourage, son père, sa mère, son frère, les autres artistes, sa voisine (qui s’avère être aussi la propriétaire de la maison où elle réside) et même son chat.
Alors que Lizzie prépare une exposition de ses œuvres, elle s’irrite de tout ce qui la détourne de son travail de création. Ainsi de son chauffe-eau en panne que Jo (Hong Chau), sa voisine et propriétaire ne semble pas pressée de faire réparer. Cela étant, la réalisatrice s’applique à détailler le processus créatif auquel se livre Lizzie, tout comme ses visites au centre où se regroupent volontiers les nombreux artistes de la ville. C’est là qu’elle fait cuire dans un four ses sculptures, dont l’une qui sera précisément trop cuite d’un côté (défaut ou non ?).
Mais surtout, mine de rien, la réalisatrice oriente son film dans une direction précise, riche de signification, sans cependant se départir de la simplicité de son regard. Pour ce faire, elle convoque un mini-événement, bien peu insolite en soi puisqu’il s’agit d’un pigeon que son chat a attrapé et à qui il a brisé une aile. L’oiseau en question, Lizzie l’a découvert une nuit et s’en est débarrassé en le mettant dehors. Sauf que, le lendemain matin, c’est Jo qui, ayant découvert le volatile blessé, l’a recueilli pour le soigner, sollicitant l’aide de sa voisine Lizzie.
Ce pigeon devient, dès lors, véritablement un des personnages du film, symbolisant, sans ostentation, le mal-être de Lizzie. À petits traits, la cinéaste conduit alors son récit vers une issue simple et lumineuse à la fois, opérée grâce à la rencontre de trois types de « personnes » : le pigeon blessé, deux petites filles et le frère de Lizzie, un garçon en proie à de profonds troubles psychiques. Sans trop en dire pour ne pas divulgâcher, disons que la rencontre de ces « individus » devient signe de libération. Au bout du compte, il se peut que Lizzie, elle aussi, ait retrouvé un peu de sérénité…
8/10
Luc Schweitzer