Un film de Kôji Fukada.
Exposées dans les espaces publics, les affiches de ce film sont accompagnées d’un avertissement recommandant aux spectateurs de ne pas divulguer ce qui est au cœur de son intrigue. Il serait dommage, en effet, de trop en dire sur les événements qui surviennent au cours du film et sans doute vaut-il mieux ne pas être trop informé à ce sujet avant d’aller le voir.
Je me contenterai donc ici de dire un mot des personnages principaux de l’œuvre, personnages qui sont tous, d’une manière ou d’une autre, en corrélation avec le drame qui en constitue le pivot. Ce dont il est question, au début, c’est, tout banalement si l’on peut dire, d’un couple, Taeko et Jiro, élevant un enfant, un garçon prénommé Keita, champion d’un jeu de pions, l’Othello, et dont on apprend rapidement qu’il est le fruit de l’union de Taeko avec un autre homme que son mari actuel. Dans la barre d’immeuble qui se situe en face de chez eux, à portée de voix, habitent les parents de Jiro, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’apprécient guère le mariage de leur rejeton avec une femme ayant eu un enfant avec un autre homme.
Or, les circonstances ou événements du film font ressurgir dans les vies de Taeko et Jiro des personnages de leur passé, dans le cas de Jiro avec une ex petite amie qui refait surface et, surtout, dans le cas de Taeko avec Park, un Coréen qui n’est autre que le père de son enfant et qui avait disparu depuis plusieurs années. Le voilà de retour et seule Taeko peut communiquer, en langue des signes, avec lui, car il se trouve que cet homme est sourd-muet.
C’est à partir de tous ces éléments que le réalisateur explore, avec une stupéfiante finesse, des thèmes tels que la fragilité et la complexité des rapports humains, en particulier dans le couple, les difficultés de communication, la culpabilité, le pardon, la foi, etc. Taeko et Park ont tous deux de bonnes raisons de se sentir coupables et cependant la grâce du pardon n’est pas loin d’eux. On remarquera d’ailleurs, cela est indiqué de manière suggestive, qu’on a affaire à des chrétiens. Ainsi Taeko donne-t-elle de son temps pour aller à la rencontre des gens de la rue afin de leur apporter un secours.
Même si l’intrigue du film s’inscrit dans un contexte dramatique, l’essentiel se déroule dans une atmosphère d’étonnante douceur. Les éclats de voix sont assez rares et pourtant la souffrance est réelle et le malaise est diffus. Toute la question est de savoir si, en dépit des mensonges et des trahisons, il reste une place pour le pardon. En fin de compte, c’est une chanson, Love Life, chanson qui donne son titre au film, qui en éclaire le propos : « Quelle que soit la distance qui nous sépare, rien ne m’empêchera de t’aimer ». En filigrane, tout au long de l’œuvre, le cinéaste pose son regard affûté sur la société de son pays, le Japon, sur la difficulté d’y exprimer ses sentiments, sur les rigidités d’un système patriarcal persistant, sur les rapports compliqués aux étrangers, aux personnes handicapées et à la misère sociale.
8,5/10
Luc Schweitzer