Un roman de Akira Mizubayashi.
Je suis de ceux qui peuvent lire et écouter de la musique en même temps, à condition que ce soit de la musique instrumentale, classique tout particulièrement. Ce n’est probablement pas le cas de tous les lecteurs mais, pour ce qui concerne Âme brisée, un roman qu’on pourrait dire gorgée de musique du début à la fin, c’est presque une nécessité. Comment lire ce roman sans être pris du désir irrépressible d’écouter les œuvres dont il y est question et dont l’auteur nous parle avec une passion pour ainsi dire contagieuse ? Ces œuvres sont au nombre de trois : le quatuor n° 13 en la mineur D. 804 « Rosamunde » de Schubert, le concerto pour violon « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg et la Gavotte en rondeau de la Troisième partita pour violon seul de Bach. Nul besoin de préciser que ces pièces musicales sont des chefs d’œuvre, en particulier le bouleversant quatuor de Schubert.
Or le roman de Akira Mizubayashi non seulement débute avec l’évocation de cette œuvre mais il est construit tout entier sur elle, adoptant, pour les quatre chapitres qui le composent, les indications de tempo de chacun de ses mouvements : I. Allegro ma non troppo. II. Andante. III. Menuetto : Allegretto. IV. Allegro moderato. L’écriture en est simple et limpide, épousant parfaitement les infinies nuances de la musique.
Tout commence par le souvenir douloureux d’un événement s’étant déroulé dans le Tokyo de 1938, alors que le Japon, en proie à ses démons nationalistes, faisait la guerre à la Chine. Or un Japonais du nom de Yu Mizusawa, ne tenant aucun compte des obsessions bellicistes de son pays, répète, avec trois musiciens chinois (deux hommes et une femme), le quatuor de Schubert. Mais le pire survient le jour où les musiciens sont interrompus par l’irruption de soldats japonais. Le fils de Yu, un garçon de onze ans prénommé Rei, n’a que le temps de se cacher dans une armoire. Un militaire arrache alors des mains de Yu son violon et le jette à terre pour le briser. Survient ensuite un autre militaire, un lieutenant du nom de Kurokami qui, désapprouvant la destruction du violon de Yu, lui demande de jouer sur un autre instrument une œuvre de son choix. Ce sera la Gavotte de Bach. Malheureusement, malgré cette intervention, les quatre musiciens sont emmenés, Yu étant soupçonné de comploter contre son pays. Resté seul sur le lieu, le lieutenant Kurokami découvre Rei dans sa cachette et lui confie le violon brisé avant de s’en aller.
Telle est la terrible blessure initiale qui, bien sûr, restera vive en Rei pour le restant de ses jours. L’âme brisée, qui donne son titre au roman, c’est à la fois celle de Rei et celle du violon. Or, toute la suite du roman, les trois chapitres suivants auxquels se rajoute un épilogue, ne nous parle que de la réparation de ce qui fut foulé aux pieds un triste jour de 1938. L’itinéraire de Rei le conduit du Japon à la France et à l’Italie. Adopté par un couple de Français au lendemain de la guerre, Rei, devenu Jacques Maillard, se passionne bientôt pour la lutherie au point d’en faire à la fois sa passion et son métier. Pour appendre et parfaire ce métier-là, il faut aller à Crémone, la célèbre ville italienne où s’illustrèrent Stradivari, Amati et Guarneri, mais on peut aussi séjourner dans la petite ville lorraine de Mirecourt qui fut le berceau de deux luthiers de renom, Jean-Baptiste et Nicolas François Vuillaume, et reste une cité de luthiers, même si leur nombre s’est considérablement réduit. Or le violon qui fut brisé en 1938 est précisément un Vuillaume.
Akira Mizubayashi imagine alors les rencontres de personnes aptes à réparer ce qui fut détruit par le militaire obtus de 1938, celle, en particulier, de Rei Mizusawa (Jacques Maillard de son nom français) avec Midori Yamazaki, une jeune violoniste de renom dont le grand-père n’est autre que Kurokami, le lieutenant qui avait surpris le jeune Rei dans sa cachette et lui avait remis le violon cassé. Au moyen de sa langue si épurée, si belle, si musicale, Akira Mizubayashi nous emporte dans l’élan de ce qu’il ne craint pas d’appeler une résurrection (il emploie même le mot inventé de ressuscitation) : celle d’un violon que Jacques Maillard a, bien sûr, emporté avec lui pour patiemment non seulement le réparer mais le magnifier. L’auteur a beau préciser que son personnage n’est pas croyant, en rendant son âme au violon, en le confiant à Midori, en lui faisant jouer le concerto « À la mémoire d’un ange », on a le sentiment que, malgré les laideurs du monde, c’est la beauté, et la beauté seule, qui reste pour l’éternité.
8/10
Luc Schweitzer
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Quatuor Ebène - Franz Schubert : Quatuor n° 13 en La mineur "Rosamunde" D 804
Quatuor Ébène : Pierre Colombet, violon Gabriel Le Magadure, violon Mathieu Herzog, alto Raphaël Merlin, violoncelle Allegro ma non troppo Andante Menuetto Allegro - Trio Allegro moderato Concer...
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Alban BERG - Concerto "à la mémoire d'un ange" - Luc HÉRY, violon
Alban Berg (1885-1935), concerto pour violon et orchestre composé en 1935 à la mémoire de Manon Gropius, fille d'Alma Mahler, morte à 18 ans la même année. Luc Héry, violon Premier violon so...
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