Un film de Aki Kaurismäki.
Reconnaissables, par leur style, entre mille, les films d’Aki Kaurismäki mettent toujours en scène des déshérités de la vie, ceux qui ne comptent pas, qui, quand ils ont un travail, le perdent avec une facilité déconcertante mais qui essaient de vivre quand même et, parfois aussi, de trouver un être à aimer. Cela peut être un animal (déshérité, lui aussi), mais ce sera, plus volontiers, un (ou une) semblable, un être que la vie a également déjà bien malmené. Or, même quand il s’agit d’aimer, même quand deux êtres ne demandent qu’à se rapprocher l’un de l’autre, on dirait que la vie (ou le destin, ou ce que l’on voudra) s’ingénie malicieusement à leur mettre des bâtons dans les roues.
Dans la filmographie de Kaurismäki, Les Feuilles mortes figurera sans doute en bonne place dans le cœur des spectateurs, tant ce film paraît recueillir la quintessence de l’univers du cinéaste. Un cinéaste qui prend soin de nous familiariser d’abord avec ses deux personnages principaux en soulignant, mais avec finesse, leur commune solitude. D’un côté, il y a Ansa (Alma Pöysti), jeune femme travaillant dans un supermarché puis, son travail achevé, rentrant chez elle pour y manger seule un plat tout préparé qu’elle met au micro-ondes en oubliant de retirer la pellicule de plastique qui le recouvre, si bien, qu’au bout du compte, elle n’a plus qu’à le jeter à la poubelle. La radio, allumée, ne parle que de la guerre en Ukraine (une scène qui ponctue tout le film comme un leitmotiv). De l’autre côté, il y a Holappa (Jussi Vatanen), un homme jeune, travaillant dans la métallurgie, et déjà fortement dépendant du tabac et de l’alcool, qu’il consomme à hautes doses, y compris pendant ses temps de travail. L’un et l’autre perdent bientôt leur emploi (elle pour avoir emporté dans un sac un produit périmé au lieu de le mettre à la poubelle, lui à cause de son addiction à l’alcool.)
Cela pourrait être un film totalement désespérant, à se flinguer, mais non. Malgré les galères, la solitude, les échecs des personnages, quelque chose d’indéfinissable (le style de Kaurismäki) empêche d’avoir le moral à zéro. On pense aux films de Charlie Chaplin qui ne nous parlent que des désillusions de Charlot le vagabond mais sur un mode qui reste comique (Kaurismäki lui rend d’ailleurs un bel hommage à la fin des Feuilles mortes). Le ton du cinéaste finlandais n’est pas tout à fait le même que celui de Chaplin, mais il ne manque pas d'humour et ne cède pas à l’accablement. Peut-être la musique (très présente) contribue-t-elle, pour une bonne part à l’impression que l’on ressent. Ansa et Holappa se voient d’ailleurs, pour la première fois, dans un karaoké où sont chantés successivement un morceau rock, une chanson finlandaise et un lied de Schubert. C’est à l’occasion de cette dernière pièce (sublime) que se croisent les regards d’Ansa et Holappa. La scène est une merveille.
Cela étant, il faudra encore bien d’autres occasions pour que, Ansa et Holappa, s’étant enfin parlés, se retrouvent malgré de multiples rendez-vous manqués et déboires de toutes sortes. Les lieux choisis par le cinéaste ne doivent rien au hasard : après le karaoké (la musique), les amoureux choisissent d’aller ensemble voir un film au cinéma. Ce sera un film de zombis ! mais remarquons surtout combien Kaurismäki se plaît à rendre hommage à ses pairs en multipliant les décors avec affiches de films (Godard, Visconti et d’autres sont en bonne place). Lors d’une autre scène, très belle, très touchante, Ansa reçoit à dîner, chez elle, Holappa, qui lui a apporté des fleurs. Quant à la jeune femme, on l’a vu, auparavant, préparer ce rendez-vous en allant acheter, malgré ses petits moyens, ce qui lui manquait, y compris une assiette et des couverts.
En fin de compte, que nous dit Kaurismäki en nous contant cette histoire avec son immense talent, sinon que, contre les vicissitudes de notre temps et la déshumanisation qui nous guette tous, il n’y a qu’un remède, une voie de salut, et c’est, bien sûr, l’amour. L’amour qui unit des déshérités, humains et même, pourquoi pas, animaux. Un chien qu’a recueilli Ansa en est la parfaite illustration.
9/10
Luc Schweitzer
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LES FEUILLES MORTES - Bande-annonce
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Julian Prégardien interpreta Ständchen, de Schubert.