Un film de Alex Van Warmerdam.
Relativement rare au cinéma, Alex Van Warmerdam (né en 1952) se plaît à proposer aux spectateurs des films déroutants, généralement programmés dans un nombre réduit de salles, peu commentés, et qui, pour toutes ces raisons, risquent de passer plus ou moins inaperçus. Celui qui sort aujourd’hui est son dixième, d’où, pourrait-on croire, son titre. Mais, en vérité, se dévoile, au cours du film, une autre raison pour laquelle ce titre a été choisi, moins banale et bien plus intrigante.
No 10 se divise en deux parties distinctes. Dans la première, on reconnaît sans peine l’influence de Luis Buñuel (1900-1983), cinéaste dont, affirme Alex Van Warmerdam, les films l’ont accompagné tout au long de sa carrière. La patte surréaliste est bien présente, en effet, dans l’histoire d’une troupe de théâtre répétant une pièce avec un metteur en scène prénommé Karl. Parmi les comédiens, se trouve un certain Marius dont la femme, gravement malade, l’empêche de dormir. De ce fait, Marius, fatigué et irritable, est incapable de mémoriser ses répliques. D’autre part, se nouent des relations complexes entre les autres comédiens et comédiennes et le metteur en scène. L’un des comédiens, Günter, fut retrouvé, à l’âge de quatre ans, abandonné dans une forêt et a grandi dans une famille d’adoption. Or, ce même Günter entretient à présent une liaison avec Isabel, la femme de Karl qui, pris de soupçons, se met à suivre cette dernière. Ajoutons à cela que Günter est secrètement filmé par sa fille Lizzy. Enfin, sur la scène du théâtre, au fur et à mesure des répétitions, le rôle tenu par Günter tend à se réduire drastiquement au profit de celui de Marius, pourtant incapable d’apprendre son texte. Plus le film avance, plus la pièce en cours de répétition semble devenir quelque chose d’abstrait, « un collage abstrait sans logique ».
Or, de temps en temps, au cours de cette première partie du film, brièvement, surviennent d’autres personnages que le metteur en scène et ses comédiens : un homme qui, sur un pont, dit à Günter un mot incompréhensible ; un groupe d’ecclésiastiques dont on se demande ce qu’ils viennent faire dans cette histoire. Ce n’est que quand le film bascule dans sa deuxième partie que s’éclairent ces scènes énigmatiques. Du surréalisme, l’on passe à une histoire de science-fiction dont je me garderai de dévoiler grand-chose, tant la surprise est grande, ce qui oblige à la préserver pour les éventuels spectateurs. Disons tout de même que le film aborde alors une question de théologie ou plutôt d’ecclésiologie tout à fait inattendue. La question posée par le film pourrait être ainsi énoncée : supposons que nous découvrions l’existence d’une population n’ayant aucune religion, aucun dieu, aucune notion de péché et, par conséquent, de culpabilité et, donc, aucun besoin de rédemption. Dans ce cas, que devraient faire les chrétiens et, singulièrement, les catholiques ? Envoyer des missionnaires vers ces populations pour leur annoncer Jésus-Christ et, de ce fait, introduire dans leur schéma de pensée les notions « manquantes » que j’énumérais tout à l’heure ? Pour Alex Van Warmerdam, pas de doute, la réponse est cinglante : c’est non !
En ce qui me concerne, je préfère laisser la question en suspens pour que chacun, chacune, puisse y réfléchir à loisir. Et c’est bel et bien le fait qu’une question de ce genre soit posée dans un film d’aujourd’hui qui me paraît digne d’intérêt, plus que la réponse. Le film de Van Warmerdam, avec son absurdité, son humour noir, mais aussi son questionnement plutôt judicieux, mérite vraiment toute notre attention.
8/10
Luc Schweitzer