Un film de Martin Scorsese.
La stupéfiante et terrible histoire des Indiens Osages fut racontée, avec force détails et en s’appuyant sur des documents irréfutables, par David Grann dans un livre paru en 2017 et traduit en français sous le titre de La Note américaine (on pourra trouver la recension de ce livre sur mon blog à la date du 6 mai 2019). En se fondant sur cette enquête très fournie et dans laquelle, par conséquent, il est question d’une multitude de personnes, Martin Scorsese a réussi l’exploit de construire un scénario en se concentrant sur une période précise, celle des années 1920 et 1930, et sur quelques-uns des personnages qui s’y manifestèrent d’une manière ou d’une autre. Néanmoins, précisons-le tout de suite, Scorsese n’a pas pu faire autrement que de réaliser un long-métrage d’une durée, à mon avis, excessive : le film a beau être plutôt captivant, on sent tout de même passer les 3 heures 26 ! Le mieux aurait été, selon moi, de proposer un film en deux volets.
Mais revenons au sujet abordé dans ce film. Bien sûr, dans une oeuvre aussi longue, on a affaire à un grand nombre de protagonistes, mais trois d’entre eux (et un quatrième à la fin du film, un enquêteur du FBI) se détachent du lot. Deux sont des Blancs : Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio), de retour au pays après avoir participé à la Première Guerre mondiale, et son oncle, William Hale dit « King » Hale (Robert De Niro) ; la troisième est Molly (Lily Gladstone), une Indienne de la tribu des Osages.
Les Osages, comme toutes les autres tribus amérindiennes, furent, en grande partie, massacrés au XIXème siècle, puis transférés de force du Kansas en Oklahoma où ils furent parqués sur des terres considérées par les Blancs comme infertiles. Or voici que, comme on le voit au tout début du film de Scorsese, de ces terres de misère se mit à jaillir l’or noir, le pétrole, qui, quasiment du jour au lendemain, rendit les Osages, de misérables qu’ils étaient, fabuleusement riches. Apparemment, le monde était renversé : ainsi les Indiens se mirent-ils à circuler dans des voitures dont les chauffeurs étaient des Blancs. En vérité, parmi les nombreux Blancs qui affluèrent aussitôt en Oklahoma, beaucoup n’avaient qu’une idée en tête : spolier les Indiens de leur richesse, accaparer, par tous les moyens possibles, y compris violents, la manne du pétrole !
Un des moyens imaginés par les Blancs pour s’approprier les biens des Indiens était d’épouser les femmes Osages puis de chercher à les éliminer. Nous voilà dans le vif du sujet ! Justement, Ernest, questionnée par son oncle sur ses goûts, lui dit que s’il aime les femmes, toutes les femmes, quelles que soit leur couleur de peau, il aime encore davantage l’argent. L’oncle s’en réjouit, y voyant une opportunité d’orienter l’argent du « bon côté », autrement dit celui des Blancs et, en particulier, le sien. Or, précisément, Ernest fréquente assidûment Molly, une Osage dont les sœurs sont déjà toutes mariées à des Blancs. À la grande satisfaction de son oncle, Ernest épouse donc bientôt Molly.
Le film se déploie sur trois registres concomitants habilement agencés par Scorsese. Premièrement, et l’on retrouve un thème familier à ce réalisateur, il est amplement question des crimes et de toutes les manigances et entourloupes imaginées par les Blancs pour éliminer les Amérindiens et s’emparer de leurs biens. Dans le film, c’est l’oncle « King » Hale qui est la tête pensante de ces agissements sans scrupules, Ernest faisant figure de coordinateur, tandis que plusieurs comparses dénués de morale tiennent lieu d’exécuteurs des basses œuvres. Sur ce terrain-là, celui du mal, on peut faire confiance à Scorsese : il sait le débusquer et, si l’on peut dire, le mettre à nu.
Cette première dimension du film s’enrichit lorsqu’intervient un envoyé du FBI qu’un certain J. Edgar Hoover vient de créer. Il y a tellement de crimes irrésolus en Oklahoma qu’il n’est plus possible de faire autrement que d’envoyer sur place un agent du FBI. En vérité, l’enquête qui est alors menée met à jour un véritable système fondée sur le racisme et l’appât du gain, système impliquant tous les pouvoirs qui structurent l’Amérique : police, justice, médecins, avocats, banquiers, industriels… L’Amérique est gangrenée par des maux que Scorsese avait déjà mis en évidence dans des films précédents.
À ces dimensions si familières à Scorsese s’en rajoute une autre, plus originale, celle de la relation complexe quoique réellement amoureuse entre Ernest et Molly. Le cinéaste façonne deux personnages cousus d’ambiguïtés qui les rendent fascinants. Car, si Ernest semble aimer sincèrement Molly, il n’en demeure pas moins celui qui, soumis à son oncle machiavélique, participe à l’organisation des meurtres commis sur les membres de la famille de sa femme et en vient même à participer à ce que « King » Hale a imaginé pour faire périr Molly (souffrant de diabète) de mort lente. Le bien et le mal peuvent-ils être à ce point mêlés chez un même homme, un homme qui, tout en aimant son épouse, s’emploie à tenter de la faire mourir ? Quant à Molly, alors qu’elle a perçu le mal qui ronge son époux, pourquoi lui reste-t-elle si obéissante, alors que, par ailleurs, elle a vu les cadavres de tous les membres assassinés de sa famille ? Scorsese n’altère pas la complexité du cœur humain.
On le comprend, malgré sa longueur, à mon avis, je le répète, excessive, ce film, par les thèmes qu’il aborde et par la manière dont il les traite, a de quoi alimenter bien des réflexions sur les sociétés humaines comme sur le cœur humain et ses intrications.
8/10
Luc Schweitzer
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Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l'un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt ...
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