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THE OLD OAK

Un film de Ken Loach.

 

Si réellement ce film, comme cela a été annoncé, est le dernier de Ken Loach, cinéaste aujourd’hui âgé de 87 ans, le moins qu’on puisse dire, c’est que, comme chant du cygne, on a affaire à une œuvre accomplie qui, en effet, si cela se confirme, parachèverait fort bien la filmographie du cinéaste britannique. Certes, il ne manquera pas d’esprits critiques pour déplorer sa prétendue « naïveté », sous prétexte que le cinéaste et son fidèle scénariste Paul Laverty ont conçu une histoire de solidarité qui, en dépit des obstacles, parvient à se réaliser pleinement. Mais quoi ! Les bons films ne sont-ils obligatoirement que des histoires d’échecs ? Et pourquoi donc ?

Pour ce qui me concerne, je ne crois pas une seconde en la « naïveté » ni de Ken Loach ni de Paul Laverty. Tous deux ont une conscience aiguë de l’état attristant de notre monde et de la misère sociale engendrée par les puissants, ils l’ont suffisamment prouvé au long des années avec les 15 films issus de leur collaboration. Mais tous deux persistent, malgré tout, à croire aux élans de solidarité des laissés-pour-compte et des déracinés, tous deux se refusent à désespérer. Comment leur en faire le reproche ?

Pas question donc de misérabilisme chez Ken Loach ! Mais pas question néanmoins d’occulter la misère sociale ! La ville de Durham, au nord de l’Angleterre, le cinéaste la montre dévastée par la fin de l’exploitation minière qui la faisait vivre dans le passé. Aujourd’hui, dans cette cité désertée, beaucoup de logements sont vacants et les habitants qui restent sur place se contentent de pas grand-chose. Or voici qu’arrive un bus rempli de réfugiés syriens à qui l’on propose d’intégrer les logements vides. C’est ainsi que le cinéaste nous fait découvrir celle qui sera l’un des deux pivots du film : Yara (Ebla Mari), jeune réfugiée syrienne passionnée de photographie, qui débarque là, dans cette commune anglaise, avec sa famille (excepté son père qui est prisonnier en Syrie). Or, l’arrivée des Syriens n’est pas du goût de tous les habitants de Durham. Les huées et les propos racistes ne sont pas rares et les photos prises par Yara déplaisent si fortement à l’un des autochtones qu’il brise son appareil en le jetant à terre.

À quelque chose malheur est bon, car c’est en cherchant à faire réparer son appareil photo que Yara fait la connaissance d’un habitant du cru, T J Ballantyne (Dave Turner), propriétaire d’un pub en triste état (le seul de Durham) dénommé « The Old Oak » (le vieux chêne). Dès lors, tout le film s’ajuste au parcours de ce duo de personnages. Loin de se laisser impressionner par les insultes racistes des quelques habitués de son pub, T J prend bientôt fait et cause pour Yara et, plus largement, pour l’ensemble des réfugiés syriens. Son regard sur ces déracinés comme les regards de ceux-ci sur les Anglais évoluent alors au fil de rencontres tantôt impromptues tantôt organisées.

Ces personnages, pour autant, n’ont rien de simplistes. Si T J laisse s’exprimer son cœur, l’on découvre que sa vie passée n’a pas toujours été exemplaire, au point qu’il avait songé au suicide (avant d’être « sauvé » par son chien !). Toujours est-il qu’en dépit des obstacles multiples, c’est la solidarité qui l’emporte sur toute autre considération, la solidarité des démunis grâce à laquelle il est possible de vivre et d’espérer. Cette solidarité ne se limite pas à Yara et T J, elle se communique à d’autres, tant du côté anglais que du côté syrien, et ce malgré quelques racistes qui semblent à jamais endurcis.

En un temps où les communautés s’opposent et parfois se déchirent ou se combattent, en un temps où l’on se méfie de l’autre, ce film vient à bon escient rappeler la nécessité de la solidarité et il le fait en dépeignant des personnages certes attachants mais, en aucune façon, hors du commun. Ken Loach et Paul Laverty mettent en question la peur de l’autre avec ce qu’elle peut avoir d’irrationnel, exaltent la capacité de partager le peu dont on dispose pour que chacun ait de quoi subvenir à ses besoins les plus élémentaires, fustigent le repli sur soi et la tentation de chercher le « bouc émissaire ». Ils le font sans jamais se muer en donneurs de leçons. Au contraire, ils prennent soin de mettre en évidence les difficultés de chacun, le peu de considération accordée à la classe ouvrière, la solitude que l’on comble en venant boire au pub, etc. Mais ils le font en se refusant à céder au désespoir. À ce sujet, il serait intéressant de rapprocher deux des scènes du film, l’une dans une église où sont entrés Yara et T J et l’autre où ils organisent, dans l’arrière-salle du pub, un repas pour les démunis, tous les démunis, anglais et syriens. L’espoir n’est pas mort. 

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films
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