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L’ENLÈVEMENT

Un film de Marco Bellocchio.

 

 

On peine à y croire et, cependant, l’histoire que nous raconte Marco Bellocchio dans son nouveau film est authentique. Si l’on y réfléchit un peu, on n’est d’ailleurs pas si surpris. Ce n’est qu’en 1959 que le pape Jean XXIII supprima des prières du Vendredi saint l’expression « Juifs perfides », expression que l’on entend d’ailleurs au cours d’une des scènes du film de Bellocchio. Ne l’oublions pas, l’Eglise catholique, en dépit de voix discordantes, se distingua déplorablement par son antisémitisme virulent au XIXe comme au début du XXe siècle. L’histoire du jeune Edgardo Morarta, qu’exhume Marco Bellocchio, s’inscrit clairement dans ce contexte.

Bellocchio s’est fait une spécialité d’ausculter les tragédies qui marquèrent le passé de son pays. Ainsi est-il revenu sur le rapt d’Aldo Moro dans la mini-série Esterno Notte, sur la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne dans Le Traître (2019), sur le fascisme mussolinien dans Vincere (2009). L’Enlèvement remonte plus loin dans l’histoire, à une époque où une partie de l’Italie actuelle était encore gouvernée par le pape. C’était ce qu’on appelait les États pontificaux. La ville de Bologne, en 1858, en faisait partie.

Et c’est ainsi qu’un jour de cette année 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du pape firent irruption au domicile de la famille Mortara avec pour mission d’enlever à ses parents l’un de leurs enfants, Edgardo, âgé de sept ans, sous prétexte qu’il avait été baptisé en secret par l’une de ses nourrices. L’enfant fut d’abord placé sous bonne garde puis réellement arraché à sa famille pour être placé dans une école catholique de Rome.

Les parents d’Edgardo ne restèrent pas sans rien faire. L’affaire fit sensation dans les journaux, alertant ainsi l’opinion publique et, en particulier, la communauté juive internationale. Bellocchio filme avec empathie le combat de parents bien décidés à ne pas baisser les bras, tant ils sont déterminés à retrouver leur fils, mais se heurtant à des responsables d’Eglise sûrs de leur bon droit et décidés à « délivrer » l’enfant d’un judaïsme qu’ils estiment égaré pour en faire un bon petit catholique et, ainsi, « assurer son salut ».

Bellocchio se plaît à dépeindre, tout particulièrement, le pape Pie IX, un pape qui régna sur l’Église pendant presque 32 ans, de 1846 à 1878. C’est au cours de son règne, précisément, que les soldats piémontais combattirent les troupes papales afin d’en finir avec les États pontificaux. Reste que le pape, tel que Bellocchio le présente, même s’il vacille parfois sous les coups qui lui sont portés, est surtout un homme gonflé d’orgueil. Pape qui promulgua le dogme de l’Immaculé Conception mais pape qui se distingua par ses nombreuses condamnations du modernisme. Il trouva même le moyen de justifier l’esclavage. Bellocchio le dépeint farouchement déterminé à ne pas perdre Edgardo Mortara, quelles que soient les critiques à son encontre. C’est un pape-roi qui siège sur un trône et que l’on porte sur sa sedia gestatoria, c’est un prince de l’Église à qui l’on s’adresse en courbant la tête et en venant lui baiser la mule, c’est un roi catholique bouffi de suffisance qui se plaît à humilier les Juifs lorsqu’ils viennent plaider la cause d’Edgardo.

Et que devient-il, au fil du temps, cet enfant qui se mue en adolescent puis en jeune homme ? Eh bien, il est tellement formaté par son environnement et par ses maîtres, tellement endoctriné, qu’il ne songe plus qu’à réussir à convertir les membres de sa famille. En vérité, Bellocchio parvient à marquer ce personnage d’une certaine ambiguïté, ce jeune Edgardo fasciné par le Christ en croix et qui, dans un rêve, le décloue pour qu’il puisse descendre et s’en aller… (Pie IX, quant à lui, rêve que des rabbins s’introduisent dans son palais papal pour venir le circoncire !). Edgardo semble adopter la foi catholique et rejeter ses racines, mais ce n’est peut-être pas si simple.

Quoi qu’il en soit, et même si le film paraît assez classique dans sa forme, Marco Bellocchio, en s’appuyant sur une histoire vraie, parvient efficacement à dénoncer le pouvoir arrogant d’une Église conservatrice et dogmatique (ce pouvoir qui, même si l’Église a beaucoup perdu de son lustre, n’a cessé de la contaminer de l’intérieur et ce jusqu’à nos jours, comme en témoignent les nombreux abus dont se sont rendus coupables des responsables d’Église et, en particulier, des membres du clergé). 

8/10

 

                                                                                                   Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Histoire, #Eglise
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