Un film de Hayao Miyazaki.
Le Vent se lève, film autobiographique sorti sur les écrans il y a dix ans, faisait tellement figure de récit testamentaire qu’on n’osait plus espérer la parution d’une nouvelle œuvre de Hayao Miyazaki. L’annonce de la sortie d’un nouveau film fut donc saluée par tous les admirateurs du réalisateur japonais comme un heureux événement. Le voici donc à présent programmé dans nos cinémas et l’on peut rassurer ceux qui craignaient peut-être un amoindrissement des facultés créatives d’un cinéaste âgé de 82 ans. Le Garçon et le Héron, en dépit d’une certaine complexité de son scénario (dans la deuxième partie du film), provoque autant de fascination que toutes les œuvres précédentes du réalisateur, un réalisateur qui, notons-le, n’a pas mis moins de sept ans pour parfaire et fignoler cette œuvre, ce qui témoigne, si besoin est, d’un souci et d’une exigence de quasi perfection.
On retrouve, dans ce film, bien des éléments déjà présents dans d’autres films de Miyazaki : les horreurs de la guerre, la perte d’un être cher, le rapport à la nature, le voyage dans un monde onirique ou dans des mondes parallèles, quantité de personnages qui semblent tout droit venus de films précédents, etc. Néanmoins, malgré cette impression de familiarité ou de parenté avec d’autres films, en particulier Le Voyage de Chihiro, on n’a jamais le sentiment d’avoir affaire à du rabâchage. Le Garçon et le Héron, sans réellement surprendre le spectateur, n’en affirme pas moins sa singularité.
Singulier, il l’est, entre autres choses, du fait d’un scénario clairement scindé en deux parties. Autant la première paraît limpide, autant la deuxième nous entraîne dans un lacis de complications, mais de complications, précisons-le, dans lesquelles il est plaisant et même jouissif de se perdre. La narration commence avec la guerre et ses horreurs. C’est la Seconde Guerre mondiale et Tokyo bombardée est en feu. Dans ces flammes qui dévorent l’écran, Mahito, un garçon de 11 ans, voit s’embraser l’hôpital où se trouvait sa mère.
Orphelin et inconsolable, Mahito est emmené par son père à la campagne où il est recueilli par une tante côté maternel qui se trouve être aussi la nouvelle épouse de son père, une épouse, qui plus est, déjà enceinte. Tandis que son père travaille dans une usine de fabrication d’avions de guerre, ce qui rappelle Le Vent se lève, Mahito est invité à reprendre le cours d’une vie normale d’un garçon de son âge. Cependant, dès cette première partie du film, des éléments d’étrangeté apparaissent. Mahito ne parvient guère à s’adapter à sa nouvelle vie, il y est entouré d’aïeules toutes ridées comme des vieilles pommes et, surtout, il est souvent dérangé par la présence mystérieuse d’un héron cendré qui va et vient et semble désireux de devenir le guide du garçon, un guide qui pourrait le conduire, qui sait, vers sa mère, cette mère dont il lui est impossible de faire le deuil. Avec un art consommé du dessin et de la narration, Miyazaki fait ressortir finement la douleur du garçon, que ce soit au moyen des traits de son visage ou au moyen des postures qu’il adopte.
Conduit par le héron, s’aventurant ainsi dans le domaine familial, Mahito fait la découverte d’un manoir abandonné où vécut jadis un grand-oncle considéré comme un original invétéré. Or, c’est en bravant les interdits afin d’explorer ces lieux que Mahito en vient à pénétrer dans une réalité parallèle, un autre monde qui pourrait être (c’est une des interprétations possibles) le monde de l’au-delà, celui des morts ou plutôt celui des vivants dont on croyait qu’ils étaient morts. C’est alors que débute la deuxième partie du film, à la narration beaucoup plus complexe que la première. Mais c’est que Mahito est entré dans une réalité qui, par sa nature même, échappe aux impératifs du monde purement terrestre. Comme Orphée qui descendit aux Enfers pour y chercher son Eurydice, Mahito voyage dans une autre réalité dans le but d’y retrouver vivante sa mère.
C’est dans cette deuxième partie du film que l’on retrouve avec bonheur le déploiement de l’imagination et de la créativité impressionnante de Miyazaki. L’important n’est pas de comprendre et le réalisateur prend soin de nous en avertir au moyen d’une inscription gravée à l’entrée de cette nouvelle dimension : « Tous ceux qui cherchent à comprendre périront. ». Dans l’autre monde où voyage Mahito, toujours avec son héron mais qui s’est transformé, pour l’occasion, en une sorte de gnome facétieux, tout est à la fois splendide et inquiétant. Les décors et les paysages sont fascinants. Mais surtout, ce monde est peuplé d’une étonnante faune, même si elle n’est pas sans rappeler d’autres créatures de films précédents, faune très diverse où se détachent les « warawaras », petites créatures blanches fantasmagoriques capables de s’envoler, mais aussi un peuple inquiétant de perruches dont le roi cherche à imposer sa dictature, ce qui n’est pas sans rappeler Le Roi et l’Oiseau (1952) de Paul Grimault, un film qu’admire Miyazaki.
C’est avec délice que nous nous laissons captiver par les virevoltantes péripéties de cette aventure dans une autre dimension. Peu importe que tout ne soit pas aussi limpide que dans la première partie du film, il faut se laisser conduire dans un chatoiement coloré et inventif, en compagnie de Mahito, de son héron mué en gnome et d’une des aïeules entraînée malgré elle dans cette histoire, pour y rencontrer, avec le garçon, celle qu’il voulait tant retrouver, sa mère, mais rajeunie, mais aussi le mystérieux grand-oncle, sorte de démiurge qui surplombe toute chose sur une instable tour et veille sur une pierre en lévitation. Ce monde-là peut s’écrouler, disparaître, comme finissent par disparaître tous les humains, les uns après les autres, quelle que soit la richesse de leur monde intérieur, comme s’apprête sans doute à disparaître Miyazaki en personne, mais pour renaître et se poursuivre d’une autre manière. Il y a une espérance chez Miyazaki.
9/10
Luc Schweitzer
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LE GARÇON ET LE HÉRON - Bande-annonce
Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s'installe avec son...