Un film de Alexander Payne.
S’il y a quelque chose que je recherche particulièrement au cinéma, c’est d’être conduit, par un scénario habile et une réalisation tout en finesse, à un changement de regard sur les personnages qui apparaissent à l’écran. J’aime que ma perception évolue à propos de tel ou tel personnage, que ce soit dans un sens ou dans un autre, en positif ou en négatif. Quand j’ai affaire à un scénario qui prend soin de faire apparaître des aspects inattendus, m’invitant ainsi à renouveler mon regard, je suis ravi. Or, dans ce registre-là, ce film d’Alexander Payne, un cinéaste à qui l’on doit déjà quelques perles cinématographiques, comme Sideways en 2004, The Descendants en 2011 ou Nebraska en 2013, est une petite merveille.
Écrit par David Hemingson, le scénario s’inspire de Merlusse (1935), un film méconnu de Marcel Pagnol, transformé, adapté, transposé dans l’Amérique et, plus précisément, dans la Nouvelle-Angleterre du début des années 1970. Le film emprunte son atmosphère à certains cinéastes de cette époque-là, comme Hal Ashby ou Peter Bogdanovich. Même son grain, ainsi que son format, tout comme sa bande musicale, rappellent les seventies.
C’est une sorte de conte de Noël qui nous est ici proposé, avec un personnage qui pourrait être un cousin d’Amérique du Mr Scrooge de Charles Dickens. En l’occurrence, l’homme que l’on découvre à l’écran se nomme Mr Hunham et il est interprété par le formidable Paul Giamatti, acteur dont on avait déjà pu apprécier le talent dans Sideways. Or, il se trouve que ce Mr Hunham enseigne l’histoire antique dans un établissement privé et qu’il en est le professeur le plus détesté par l’ensemble des élèves. Il faut dire qu’il n’a rien pour plaire : affligé d’un strabisme pour le moins inélégant qui lui vaut le surnom de « Neunoeil », il souffre d’une maladie qui lui fait dégager une odeur de poisson et semble se délecter sadiquement à donner de mauvaises notes à ses élèves. Il faut cependant lui reconnaître une qualité : sa probité, mais une probité telle qu’elle embarrasse le directeur de l’établissement, Mr Hunham ayant sanctionné sévèrement le travail du fils d’un sénateur, bienfaiteur potentiel qui risque d’être refroidi dans ses élans de générosité.
L’honnête Mr Hunham se retrouve donc bientôt puni : c’est lui qui est désigné pour assurer la surveillance des élèves de l’internat qui ne partent pas en vacances de Noël. Or, s’ils sont d’abord au nombre de quatre élèves, il n’en reste bientôt qu’un seul : un prénommé Angus (Dominic Sessa), jeune homme de bonne famille comme on dit (tout comme les autres élèves) mais ayant la particularité d’être à la fois intelligent et particulièrement turbulent. Quoi qu’il en soit, le voilà contraint et forcé de passer ses vacances avec un professeur que, à tous les sens de l’expression, il ne peut pas sentir. Il faut cependant leur rajouter quelqu’un, à ces deux-là, Mary (Da’vine Joy Randolph), la cuisinière de l’école, une femme noire qui ne se console pas de la mort de son fils, tué au cours de la guerre du Vietnam, si ce n’est, peut-être, en abusant quelque peu du whisky et des cigarettes.
Il serait tentant de leur coller une étiquette, à chacun de ces trois-là, le professeur acariâtre, l’élève indiscipliné, la cuisinière esseulée. Or, toute la finesse du scénario consiste à mettre au jour autre chose, peut-être même le contraire de ce qui n’est qu’apparence. Derrière les carapaces, en vérité, chacun a le cœur lézardé, d’une manière ou d’une autre. Chacun porte son secret, secret qui se dévoile du fait non seulement d’une cohabitation forcée mais du rapprochement qui, petit à petit, s’opère entre chacun des membres du trio, secret qui, en se dévoilant, révèle la part d’humanité, au sens noble, de chacun. Le professeur féru d’antiquité, passionné de Marc-Aurèle, au point que, pour tout cadeau, il ne sait offrir que les Pensées de l’empereur philosophe, le professeur qui affirme haut et fort qu’il se passe fort bien de Dieu, le professeur cache bien mal, en vérité, un humanisme tel qu’il rend capable de se sacrifier pour autrui. Le personnage presque détestable du début du film, Angus, Mary et nous aussi, spectateurs, nous le regardons, pour finir, d’une tout autre manière. Le réalisateur a pris le temps de nous le faire connaître, au gré des événements habilement concoctés par le scénario, un passage par l’hôpital, le repas de Noël, un court voyage à Boston, et nous voilà, à l’exemple d’Angus et de Mary, tout chamboulés et tout émus. Le professeur n’était pas celui que l’on croyait ou, en tout cas, il n’était pas que cela.
8/10
Luc Schweitzer
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