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LE MAL N’EXISTE PAS

Un film de Ryûsuke Hamaguchi.

 

 

Le contexte du nouveau film de Ryûsuke Hamaguchi surprend, car il est radicalement différent de celui de ses films précédents, Drive my car  (2021) et Contes du hasard et autres fantaisies (2022). C’était des films urbains. Or, avec Le Mal n’existe pas, au contraire, nous nous éloignons de la ville pour pénétrer dans la forêt profonde. Et nous y entrons, Hamaguchi nous y fait entrer, comme dans un rêve, ou comme dans un conte, avec un long travelling, caméra tournée vers les frondaisons des arbres. La superbe musique composée par Eiko Ishibashi accentue encore cet aspect, musique qui se fera entendre à nouveau à différents moments, bien choisis, du film.

Dans cette forêt, nous trouverons des arbres bien sûr, mais des arbres dont les différentes espèces seront bientôt nommées, des oiseaux, des cerfs et des biches, une source d’eau très pure, très claire, la neige, le vent et… quelques humains qui s’y confondent presque. Il y a là un homme (dont on apprendra ensuite qu’il se nomme Takumi) qui puise l’eau de la source pour en remplir des bidons, qu’il porte bientôt à son véhicule, aidé par un autre homme qui l’a rejoint. Plus tard, nous retrouvons Takumi occupé à fendre des bûches de bois devant sa maison, en plein dans la forêt.

Et puis, il y a Hana, la fille de Takumi, âgée de huit ans. Malgré son jeune âge, elle traverse la forêt pour se rendre à l’école. Mais son père la rejoint volontiers. C’est lui qui lui apprend à nommer les arbres, tout comme à reconnaître les traces laissées par les animaux, tandis qu’au loin résonnent parfois les coups de feu des chasseurs. Avec son habit bleu, ses longs cheveux, son bonnet, Hana fait irrésistiblement songer à un personnage de conte.

Pourtant, arrivent bientôt deux personnes, un homme et une femme, venues de Tokyo présenter aux habitants de la forêt un projet de glamping, variété de camping de grand standing qui attirerait, selon eux, des citadins désireux de se détendre dans un cadre de nature. Mais la nature, précisément, que deviendrait-elle si ce projet devenait effectif. La source à l’eau si pure ne serait-elle pas polluée ? Et comment se comporterait les cerfs si leurs voies de passage étaient tout à coup fermées ?

L’homme et la jeune femme venus défendre le projet de glamping entendent les questions qui leur sont posées. Le film aurait pu banalement s’orienter vers une confrontation entre les « bons » habitants de la forêt et les « méchants » citadins, mais, bien sûr, il n’en est rien. Hamaguchi évite soigneusement cette simple dichotomie, optant pour un récit limpide et mystérieux à la fois, un récit dans lequel chaque personnage a de bonnes raisons de faire ce qu’il fait. Personne, dans ce film, n’est jugé, aucun des personnages ne peut être considéré comme le méchant de service.

Ce que propose Hamaguchi, ce n’est pas un film écologiste militant. Si le titre du film affirme que « le mal n’existe pas », c’est précisément pour éviter de désigner qui que ce soit comme étant le mal incarné. Nous ne sommes pas dans un film manichéen à la manière de certains blockbusters américains. Hamaguchi donne à son film une fin surprenante, déstabilisante, sujette à de multiples interprétations. Le mystère est totalement préservé. Le film respire, en quelque sorte, il accorde une place de choix au spectateur lui-même, sollicité, invité à laisser parler sa propre sensibilité et sa propre intelligence. Heureux le cinéma, quand il fait ce choix-là !    

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films
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