Un film de Karim Dridi.
Il y a comme une réminiscence de Sans toit ni loi (1985), le film d’Agnès Varda avec Sandrine Bonnaire, la différence étant que cette dernière évoluait seule alors que, dans le film de Karim Dridi, il s’agit d’un duo de femmes, à vrai dire séparées l’une de l’autre pendant une bonne partie du film. Au début, elles ont pourtant l’air d’être inséparables, comme deux sœurs de la débine et de la débrouille. L’une des deux, Djoul, impressionnante avec son crâne rasé et sa crête à la punk, possède un véhicule, probablement volé, et, avec sa complice Nina, la zonarde, elles s’échinent à siphonner de l’essence prise dans des engins de chantier.
Bientôt cependant, il faut prendre la poudre d’escampette pour échapper à la police. C’est à l’occasion d’une étape que les choses s’enveniment. Nina et Djoul ont dégoté un boulot dans un vignoble mais, alors que la première, qui s’est amourachée d’un garçon, voudrait prolonger le séjour, la deuxième ne songe qu’à repartir sur les routes le plus vite possible. C’est ainsi, à la suite d’une dispute, que leurs chemins se séparent, au moins pendant un temps. Karim Dridi alterne alors les plans sur chacune des deux vagabondes (car, bien sûr, Nina aussi finit par quitter son tourtereau).
Plus le film avance, plus on s’attache, en vérité, à ces deux marginales, plus on est saisi par leurs galères. Les scènes successives impressionnent durablement : fausse couche de Nina dans un squat minable où l’a accueillie un compagnon de misère, travail temporaire dans une usine, retrouvailles de Djoul puis de Nina avec une communauté de marginaux où, après un débat, on organise une fête pour un des membres en phase terminale d’un cancer… À chaque fois, le réalisateur crée, tout en gardant une certaine distance, une bonne dose d’empathie envers ces marginaux.
Grâce à deux comédiennes épatantes et à une mise en scène ajustée, sans esbroufe, on n’a aucune peine à se passionner pour de tels personnages, si éloignés de notre univers habituel. Et quand, à trois reprises, comme un leitmotiv, se fait entendre un poème de Victor Hugo (Les Tuileries dont le titre originel est Chanson des deux barbares) d’abord chanté par Colette Magny, la créatrice de la chanson) puis reprise par les deux « barbares » du film, Djoul et Nina, c’est la dignité des laissés-pour-compte qui résonne comme il se doit !
7,5/10
Luc Schweitzer