Un film de Maria Alché et Benjamin Naishtat.
En 2016, avec L’Avenir, la cinéaste Mia Hansen-Løve avait brillamment réussi le pari de réaliser un film entièrement irrigué de philosophie. Pour ce faire, elle s’était inspirée de ses propres parents, tous deux professeurs de philosophie, lui plutôt kantien, elle plutôt rousseauiste. C’est un pari du même ordre que nous proposent aujourd’hui les cinéastes argentins Maria Alché et Benjamin Naishtat en immergeant leur film dans ce microcosme qu’est une université et, en l’occurrence, du côté du département de philosophie.
Pour y parvenir, même si le film commence dramatiquement par la mort brutale d’un des professeurs qui, alors qu’il faisait son jogging, est soudainement terrassé par une crise cardiaque, les deux cinéastes adoptent un ton humoristique ou, plutôt, un mélange savamment dosé d’humour, de réflexion philosophique et d’engagement politique. Dans le contexte de l’Argentine d’aujourd’hui, gouvernée par le populiste Javier Milei, c’est un film qui, à sa manière, critique comme il faut l’anti-intellectualisme ainsi que l’ultralibéralisme en place.
Le film se concentre, en grande partie, sur Marcelo Pena (Marcelo Subiotto), professeur de philosophie certes affecté par le décès subit de son collègue mais désireux d’hériter du poste devenu vacant. Or voilà qu’un concurrent sérieux, plus jeune, plus charismatique, un certain Rafael Sujarchuk (Leonardo Sbaraglia), de retour de Francfort, lui met des bâtons dans les roues. À ce climat de concurrence entre, pourrait-on dire, l’ancien et le moderne, s’ajoutent des tensions dues à des étudiants gauchistes revendicatifs.
Le film de Maria Alché et Benjamin Naishtat, comme celui de Mia Hansen-Løve, est tout entier irrigué de philosophie, en particulier des enseignements donnés par les concurrents Marcelo et Rafael. Il y est question de Rousseau, de Hobbes, de Heidegger, de Spinoza, mais, rassurons-nous, jamais de manière pesante ni pédante. Marcelo a le chic d’agrémenter ses cours au moyen d’analogies, parfois cocasses. D’autre part, les réalisateurs n’hésitent pas à plonger ce professeur dans des embarras très terre-à-terre où la philosophie n’est plus de mise, par exemple lorsque, s’étant assis sur une couche de bébé souillée, il est entraîné par un collègue à la réception donnée en hommage au professeur décédé alors que le derrière de son pantalon reste tout imprégné de… caca !
On s’amusera aussi des cours particuliers de philosophie donnés par Marcelo à une vieille dame richissime, mais aussi et surtout on remarquera la précarité dans laquelle sont plongés et les professeurs et les étudiants. La fin du film, de ce point de vue, est un grand moment de communion entre professeurs et étudiants. Cela m’a fait songer à Léo Ferré qui voulait faire descendre dans la rue la musique classique afin qu’elle ne soit plus réservée à une élite. Eh bien, à la fin de El Profesor, ce n’est pas la musique mais la philosophie qui est dans la rue et non dans un amphithéâtre ! La philosophie dans la rue, la philosophie en actes, à la barbe de Javier Milei et de tous les populistes du monde !
8/10
Luc Schweitzer