Un film de Veit Helmer.
Quelque part en Géorgie, se croisent régulièrement, plusieurs fois par jour, à mi-chemin de leurs parcours respectifs, deux cabines de téléphérique surplombant une large vallée. En bas, les gens qui travaillent aux champs font une pause lorsque passe l’une d’elles et, souvent, lui font des signes d’amitié. En haut, dans chacune des deux cabines, se trouve une hôtesse chargée d’accueillir les passagers et de procéder à des manœuvres de conduite conjuguées à celles que surveille un homme depuis la salle des machines. Or, voici qu’est engagée une nouvelle conductrice prénommée Iva, aussitôt coachée par sa collègue Nino. Bientôt, chacune étant dans sa cabine, les deux jeunes femmes ne se voient que fugacement, juste le temps que leurs cabines se croisent au-dessus de la belle vallée.
C’est à partir de ce dispositif, très simple en somme, que se décline tout le film. Ajoutons que celui-ci est entièrement dénué de dialogues, ce qui fait songer à la manière dont usait si bien, en son temps, Jacques Tati. Ici aussi, dans Gondola, le burlesque tient une bonne place ainsi que l’imagination poétique dont ne se privait pas le cinéaste de Jour de fête. Mais une autre dimension s’ajoute dans Gondola, celle du désir. Car, entre Iva et Nino, se met, assez rapidement, en place un jeu de séduction qui s’exprime au moyen d’une créativité débordante.
Ce pourrait être une suite de mignardises, mais non, l’inventivité du film est telle qu’on ne demande qu’à se laisser séduire. Les cabines des téléphériques sont bientôt décorées de toutes les manières possibles, en avion, en fusée, en bateau, tandis que, sur l’une des stations d’arrêt, est disposé un jeu d’échecs, chacune des deux conductrices jouant son coup lorsqu’elle passe par là. Précisons aussi que, si le film est muet, sans le moindre dialogue, il n’est pas pour autant dénué de musique. Bien au contraire, elle y tient une place éminente, non seulement parce que Nino est violoniste, mais aussi parce qu’un véritable concert est bientôt convoqué, concert auquel sont associés les habitants de la vallée, usant d’instruments non conventionnels, frappant sur des bassines, jouant de la scie, ou de la hache, ou de casseroles, ou frottant le bord des verres avec un doigt mouillé, etc. Tout est possible et, miraculeusement, se fait entendre quelque chose qui n’a rien d’une cacophonie.
Le fil ténu sur lequel est construit ce film, toujours sur le point de basculer dans la mièvrerie, mais y échappant au moyen d’une grâce poétique sans cesse à l’œuvre, ne se rompt pas. La relation, empreinte de désir, des deux jeunes femmes, se pare si bien de poésie ludique que, ma foi, il n’y a pas de raison de n’être pas touché !
7,5/10
Luc Schweitzer