Un film de Álvaro Gago.
Dans À plein temps de Éric Gravel, film sorti sur les écrans en mars 2022, nous était proposé le portrait très impressionnant d’une femme (jouée par Laure Calamy), mère de deux enfants, dans son quotidien éreintant, ses journées qui ressemblent toutes et qui sont toutes aussi exténuantes l’une que l’autre. Jamais de repos, aucun répit. Avec Matria, c’est un film de la même veine que nous découvrons aujourd’hui. Nous sommes, cette fois, en Galice, région parmi les plus sinistrées de l’Espagne, et la femme qui apparaît à l’écran, Ramona (jouée, de manière formidablement convaincante, par Maria Vázquez), mène une vie si épuisante qu’on se demande comment elle parvient à ne pas s’effondrer.
Elle court d’un endroit à l’autre, de l’usine où elle travaille à un bateau où elle donne un coup de main aux pêcheurs de moules, puis à sa maison où il lui faut s’occuper d’un mari alcoolique qui, même ivre, ne cesse de vouloir la tripoter, sans compter les visites de sa fille, certes plus ou moins indépendante, mais qui lui cause des soucis. Ramona n’arrête jamais et, comme elle n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, tout ce qui la contrarie la met aussitôt en colère. C’est le cas, au début du film, à la conserverie où elle travaille, conserverie qui est rachetée par un repreneur qui s’empresse d’annoncer une baisse générale des salaires. Pas question, pour Ramona, d’accepter une telle condition. Elle préfère quitter cet emploi.
La voilà contrainte de se chercher un nouveau travail, qu’elle finit, après bien des démarches, par trouver en tant que femme de ménage chez un homme d’aspect revêche mais qu’elle trouve le moyen d’amadouer, en particulier lorsqu’elle accompagne le vieil homme chez un opérateur de téléphonie pour la résiliation d’un contrat. Cette séquence donne d’ailleurs lieu à un des seuls moments où l’on voit Ramona s’asseoir pour s’accorder un court répit. Assise sur un banc, au soleil, elle ferme les yeux et semble se changer, pour un instant, en une autre femme.
Peut-être ce moment est-il la préfiguration de ce qui suivra ? Il y a là, se dit-on, comme un désir d’échapper à toutes ces accumulations de contraintes. Peut-être partir, tout abandonner, changer de vie… Quoi qu’il en soit, Álvaro Gago, le réalisateur réussit là un saisissant portrait de femme et, précisons-le, même si le contexte est éprouvant, sans une once de misérabilisme. Au contraire, l’une des dernières scènes, où mère et fille s’étreignent, indique, de la plus belle des manières, que ce n’est pas la misère qui a le dernier mot. Jamais.
7,5/10
Luc Schweitzer