Un film de Sandhya Suri.
On sait que l’Inde est un des pays où se tournent le plus de films et pourtant peu d’entre eux parviennent jusqu’aux écrans de nos salles. Cette année, au festival de Cannes, et cela ne s’était pas produit depuis longtemps, deux d’entre eux ont été projetés, l’un en compétition (All we imagine as light de Payal Kapadia qui a remporté le Grand Prix), l’autre dans la section « Un certain regard ». C’est ce film de Sandhya Suri, réalisatrice de documentaires dont c’est la première fiction, qui vient de sortir dans nos salles.
On reconnaît la patte d’une cinéaste qui est habituée à tourner des documentaires dans ce long-métrage de fiction. L’aspect « documentaire » y reste présent mais, en quelque sorte, filtré par le regard de son personnage principal, Santosh (Shahana Goswani), une femme de 28 ans dont le mari, policier de son métier, vient de mourir au cours d’une intervention. Pour s’en sortir, Santosh, pour qui il n’est pas question de retourner dans sa famille, doit trouver un travail. Or, une loi, dite de « recrutement compassionnel », lui permet de garder son logement à condition de remplacer, en quelque sorte, son mari en s’engageant elle-même dans la police. La voilà donc qui doit porter l’héritage de son mari défunt.
Par ce biais, la réalisatrice ausculte la société de son pays. Car l’identité nouvelle que doit se construire et assumer Santosh n’est qu’un aspect d’un film qui explore avec efficacité les problématiques communautaristes d’un pays qui, tout moderne qu’il soit d’un certain point de vue, reste sclérosé par des archaïsmes dont il n’arrive pas à se défaire, le système des castes, les conflits religieux, les fossés économiques qui séparent les groupes les uns des autres.
Santosh est le témoin impuissant des immobilismes d’une société dans laquelle, entre autres problématiques, le sexisme reste prégnant. Ce qu’elle ne tarde pas à découvrir en fait de bassesses parmi ses collègues de la police a beau l’indigner, elle est bien incapable d’y porter remède. Or survient bientôt une affaire de féminicide, une adolescente ayant été retrouvée assassinée et jetée dans un puits. Santosh s’engage à fond pour la résolution de cette affaire, pour retrouver et arrêter l’auteur de ce crime.
Sans trop en dire sur la suite du scénario, précisons que cette affaire de féminicide met à nu, sous les yeux médusés de Santosh, les corruptions et les violences inouïes dont sont capables les policiers. Médusée, Santosh l’est bel et bien, sans nul doute, et pourtant, et c’est là toute l’ambiguïté morale de cette histoire, elle se sent contrainte de basculer dans une forme de complicité avec ses collègues au point de prendre sa part des violences exercées sur autrui. Dirigée par une collègue aguerrie dans ce métier, Santosh est écartelée entre son désir profond d’intégrité et la quasi nécessité de s’accommoder des corruptions dont se rendent coupables les policiers, si ce n’est d’y participer activement.
Doté d’une réalisation de qualité, ce portrait de femme sur fond d’analyse de la société indienne ne peut laisser de marbre. On regrettera cependant certains des plans tournés à l’occasion d’une longue séquence de violence policière à l’encontre d’un suspect.
8/10
Luc Schweitzer