Un film de Jacques Audiard.
Emilia Pérez n’est pas uniquement un film sur un personnage transgenre, c’est un film qui lui-même est transgenre, selon la volonté de Jacques Audiard, comme il l’affirme dans une interview à Télérama : « Je voulais que le film soit lui-même transgenre. » Il l’est, sans nul doute, puisqu’il associe dans une même œuvre le drame, le lyrisme, la sentimentalité, la rédemption. C’est un film musical, un film noir, un mélodrame, c’est une œuvre hybride qui pourrait, à tout moment, basculer dans le n’importe quoi et qui, au contraire, séduit, fascine même, par son audacieuse harmonie.
Bien qu’entrant en résonance avec les réalités les plus cruelles du Mexique, le film n’a rien de naturaliste : tout y est recréé en studio et, bien sûr, cet aspect factice est pleinement assumé par un réalisateur qui cherche bien plus à s’inspirer de la scène que du réalisme cru des rues et des bas-fonds. D’ailleurs, comment le réalisme le plus brut pourrait-il être de mise dans un film où, à de nombreuses reprises, les personnages se mettent à chanter ? Jacques Audiard nous propose donc résolument un opéra ou, si l’on préfère, un drame musical.
Or, ce drame musical est d’une richesse, d’une densité impressionnantes, autant par ses personnages que par les thèmes abordés, autant par ses superbes plages musicales que par une mise en scène constamment inventive. On remarquera que, la plupart du temps, les passages musicaux, chantés, s’intègrent très habilement, très harmonieusement, dans la dramaturgie. Composées, presque toutes, par Camille et Clément Ducol, les chansons, variées, captivent d’autant plus qu’elles sont formidablement mises en scène, particulièrement quand interviennent des chœurs, dans les scènes de groupe, voire de foule.
Comme on le sait, il s’agit de l’histoire d’un chef de cartel mexicain qui change de sexe pour devenir celle qu’il a toujours rêvé d’être, une femme, quitte à devoir passer pour mort, pour mieux renaître à une vie nouvelle : le narcotrafiquant Manitas Del Monte est métamorphosé en Emilia Pérez ! Dans ce rôle, comment ne pas louer la performance de l’actrice Karla Sofia Gascón, elle-même passée, dans la vie réelle, par une transition de genre ? En lui décernant un prix d’interprétation féminine, le jury du dernier festival de Cannes ne s’est pas fourvoyé.
Mais le film ne peut se résumer à ce seul passage d’un sexe à l’autre, ou disons que ce passage occasionne et s’enrichit d’une ample thématique, à commencer par celle, évidente, d’une recherche d’identité. Accompagnée par Rita Moro Castro (Zoe Saldaña), avocate devenue sa complice, Emilia Pérez effectue une mue assez radicale pour que le film se change en une recherche non seulement d’identité mais de rédemption ou de réparation, Emilia et Rita s’engageant toutes deux aux côtés des familles de disparus, si nombreux au Mexique (on en compte des milliers, sans doute des victimes des violences causées par les narcotrafiquants).
En parallèle, l’histoire d’Emilia se déploie dans des directions plus sentimentales, à la manière des « telenovelas », ces feuilletons télévisés si prisés en Amérique latine. Jacques Audiard parvient néanmoins à éviter le trop de sensiblerie qui ferait basculer le film dans la niaiserie. Toujours sur la corde raide, il réussit incroyablement à esquiver tous les travers. Et puis, cette sentimentalité, si elle est réelle, est tempérée par l’aspect dramatique du film. Car, bien sûr, on a beau vouloir totalement effacer le passé, celui-ci risque toujours de resurgir d’une manière ou d’une autre, en l’occurrence parce que Emilia, dans son ancienne vie, quand elle était Manitas Del Monte, était marié à Jessi (Selena Gomez) et père de deux enfants. Est-il possible d’effacer ce passé-là d’un coup de gomme ? Bien sûr que non !
Œuvre audacieuse, risquée, mais totalement enthousiasmante, Emilia Pérez est de ces films qu’on garde longtemps à l’esprit et qui, j’en suis sûr, se bonifient au cours du temps. Tout y est fascinant jusqu’à la scène finale, magnifique, où une foule se forme en procession et se met à chanter en version espagnole Les Passantes, la chanson qu’avait composée Georges Brassens sur un poème d’Antoine Pol.
8,5/10
Luc Schweitzer
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Emilia Pérez - Bande-annonce officielle HD
Un film de Jacques Audiard, avec Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramírez et Mark Ivanir Sortie le 21 août 2024 / https://www.pathefilms.com/film/emiliaperez ...
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