La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ayant déjà fait couler beaucoup d’encre, entre autres parmi celles et ceux qui ont cru bon de formuler haut et fort leur indignation, il ne me semble cependant pas inutile, après avoir observé un temps de réflexion fructueux, d’apporter ma petite contribution à ce débat.
D’abord, je tiens à préciser que, pour ce qui me concerne, je n’ai pas fait d’emblée le lien entre la fameuse scène controversée et le dernier repas de Jésus, la Cène, tout simplement parce que, dans mon esprit, il n’y avait pas de lien possible entre les Jeux Olympiques et cet épisode particulier de la vie de Jésus. Quelle aurait pu être l’intention du ou des concepteur(s) du spectacle s’il s’avérait qu’il(s) s’étai(en)t référé au fameux tableau de Léonard de Vinci ? Je ne le comprenais pas. Quand, plus tard, Thomas Jolly expliqua qu’il s’était inspiré d’un autre tableau représentant le festin des dieux de l’Olympe, cela me sembla aussitôt, bien d’avantage, pertinent. Entre les dieux de l’Olympe et l’Olympisme, le lien tombe sous le sens. D’ailleurs, que serait venu faire Philippe Katerine en Dionysos, tout bleu et quasi tout nu, s’il s’était agi de la Cène ? Ça n’aurait eu aucun sens, et j’imagine que ceux qui ont conçu ce spectacle l’ont fait dans une certaine logique.
Cela étant, et puisque nombreux sont, malgré tout, celles et ceux qui ont crié au scandale en croyant voir une parodie de la Cène sous leurs yeux médusés de spectatrices et spectateurs de ladite scène (remarquons au passage que ces indignations ont émané d’abord de l’extrême droite puis de l’extrême gauche en passant par les évêques !!!), je vais moi-même supposer ou admettre, pour un instant, que tel était bien le cas, qu’il s’agissait bel et bien d’une relecture audacieuse de la Cène. Si je veux bien me prêter à cette interprétation, c’est pour expliquer que, même dans ce cas, il n’y avait vraiment pas de quoi se sentir offensé, même et surtout si l’on est chrétien. Philippe Katerine a cru bon de présenter ses excuses à ceux qu’il a pu offenser. Mais, en vérité, il n’y avait pas de quoi. Je m’en explique en deux points.
D’abord, je voudrais rappeler quelque chose de simple, qui me paraît évident, mais qui, apparemment, ne l’est pas pour tout le monde : nous ne sommes pas, nous chrétiens, les propriétaires de la Bible. Pour ce qui concerne l’Ancien Testament, tout le monde s’accordera à le reconnaître, puisque nous le partageons avec les Juifs. Mais, même pour ce qui concerne le Nouveau Testament, nous ne sommes pas propriétaires de ces textes et nous ne devons pas nous comporter comme tel. Ces textes sont un bien commun de l’humanité. Et, si, chez les catholiques, une interprétation « canonique » en est proposée, interprétation qui, tout en s’appuyant sur un socle qui semble inamovible, a beaucoup fluctué au cours des siècles, il n’en reste pas moins que d’autres que nous, chrétiens, peuvent, s’ils le souhaitent, en proposer une interprétation singulière. On ne s’en est pas privé au cours des âges. Il fut un temps, pas si lointain, où certains voulaient faire de Jésus un révolutionnaire ou un « hippie » avant la lettre. Serions-nous, aujourd’hui, incapables de nous laisser interpeller par des interprétations apparemment transgressives des Évangiles ? Ou allons-nous nous comporter comme les ayatollahs qui, lorsque Salman Rushdie osa proposer une interprétation différente de quelques versets du Coran, appelèrent aussitôt à sa mise à mort ? Si nous n’en sommes pas tout à fait là aujourd’hui, il n’empêche que j’apprends avec horreur que la DJ Barbara Butch, qui figurait au centre du tableau « Festivité » de l’ouverture des Jeux Olympiques, fait aujourd’hui l’objet d’une campagne de cyberharcèlement, ce qui veut dire qu’elle est copieusement insultée et menacée (y compris de mort) sur les réseaux sociaux. Je lui apporte ici ma sympathie et mon soutien sans faille.
La deuxième remarque que je veux exprimer maintenant, c’est que, dans l’hypothèse où ce fameux tableau « Festivité » se référait à la Cène, nous devrions, nous chrétiens, nous catholiques, nous en réjouir plutôt que de nous en indigner ! Pourquoi donc être choqué à ce point ? Toute représentation de la Cène est obligatoirement une relecture de cet évènement. Dans les Évangiles, il n’y a pas de description assez précise de la Cène pour s’en faire une image qui soit parfaitement exacte. Le fameux tableau de de Vinci n’est lui-même qu’une interprétation parmi beaucoup d’autres du dernier repas du Christ. Nous acceptons volontiers de prendre quantité de libertés par rapport aux textes de l’Évangile quand, chaque année, pour Noël, nous fabriquons nos crèches. Pourquoi ne pas accepter qu’il en soit de même pour ce qui concerne la Cène ? Est-elle plus intouchable que d’autres moments de la vie de Jésus ? Pourquoi ? Enfin, rappelons-nous que Jésus lui-même choqua, scandalisa, les chefs religieux de son temps, entre autres parce qu’il accueillait et allait volontiers manger à la table des pécheurs, des publicains, des prostituées ! Qu’une représentation de la Cène, aujourd’hui, donne la place d’honneur, si l’on peut dire, à la différence, aux périphéries, comme dit le pape François, c’est-à-dire, en l’occurrence, à des membres des minorités sexuelles et de genre, pourquoi pas ! Si Jésus était là, de nos jours, il serait, je n’en doute pas, le premier à choquer les bien-pensants de notre temps en faisant bon accueil au LGBTQI+ ! Dans Viridiana (1961), un de ses films, Luis Buñuel mettait en scène, lui aussi, une Cène transgressive dans laquelle ne figuraient que des traîne-savates. Le film fit scandale, comme on pouvait s’y attendre. Mais l’intention de Buñuel n'était pas tant de choquer que de montrer que les beaux idéaux chrétiens ont beaucoup de mal à s’accorder avec la férocité du réel. Souhaitons, aujourd’hui, que la férocité ne bascule jamais du côté des chrétiens eux-mêmes !
Luc Schweitzer
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