Il y a aujourd'hui 200 ans tout juste naissait Anton Bruckner (1824-1896) qui allait devenir l'un des plus grands symphonistes de l'histoire de la musique. Pour l'occasion, pour fêter, comme il se doit, cet anniversaire, voici les deux poésies que j'ai écrites sur cet homme (poésies que l'on peut retrouver dans mon recueil intitulé "Comme dans un miroir", toujours en vente!):
LA PASSION D'ANTON BRUCKNER
« Les orgueilleux se sont moqués de moi
mais je n'ai pas dévié de ta loi »
Psaume 119, 51
C'est de la terre que naissent d'immondes larves
elles qui s'insinuent jusqu'à sucer le sang
c'est de l'orgueil de petits dieux de carnaval
que sortent railleries et masques s'esclaffant
devant le front baissé de l'auguste vieillard
regarde donc mon Dieu ces sinistres bavards
et que c'en soit fini de leur noire jouissance !
ils ne supportent ni le visage sans fard
ni la foi sans détour ni l'austère patience
ni ce qui suinte encor des anciennes blessures
vois donc ce pauvre qui n'a plus que des prières !
quand il joint ses deux mains c'est comme si du ciel
tout un choeur avait faim de chanter ses amen -
mais un homme qui prie parbleu c'est démentiel !
disent ceux qui jouissent d'être des modernes
et le sang et le sang celui qu'il a perdu
celui qu'il a gagné celui qui s'envenime
celui qui par excès s'est déjà répandu
celui dont on pressent que par lui on s'anime
mais celui qui va loin dans l'être morfondu -
écoute bien l'aveu de l'homme qu'on méprise
observe tout ce sang sur la page rougie :
c'est la déroute des hérauts de la sottise
c'est ce qui vient à bout des immondes lazzis
c'est une symphonie droite comme une église !
A Dieu je donne ce chant-là
qu'on peut dire le chant du cygne -
on peut dire aussi que j'ai froid
et que j'espère un dernier signe
on peut dire ce qu'on ignore
(d'aucuns ne s'en priveront pas)
il se peut aussi qu'on pérore
(cela ne me concerne pas)
je vais seul à un rendez-vous
que m'a fixé dès ma naissance
celui par qui je suis absous
d'une certaine incohérence
car j'aime le parfum des femmes -
il me faut en faire l'aveu -
autant que ce qui dans mon âme
s'exalte d'être tout à Dieu
mais il ne reste de mon jour
qu'un petit sachet de secondes
c'est assez pour pleurer l'amour
et les angoisses infécondes
c'est assez pour porter mon œuvre
à celui seul qui la connaît
c'est assez pour aller en pauvre
tel un homme qui doit mendier
à toi mon Dieu le dernier chant
dont ma tête lasse s'enivre
qu'il soit retranscrit noir sur blanc
sur chaque page de ton livre !
LA NEUVIÈME SYMPHONIE DE BRUCKNER
« Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. » Matthieu 18, 3.
Tandis que j’écoutais pour la énième fois
la neuvième symphonie de Bruckner et que
laissant un libre cours aux miettes de ma foi
j’agitais mes deux bras comme si de musique
j’en épandais les dons – ô vieux petit garçon
enfant qui pénétrant la vaste cathédrale
sentait ses deux poumons se remplir d’inconnu
et des fluides subtils s’échappant d’un dédale
monter jusqu’à sa gorge – et dans l’entre-deux-nuits
yeux entrapercevant l’autre face des choses
se déprendre de soi entrer entrer entrer
entrer en poésie en musique en divin.