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TROIS KILOMÈTRES JUSQU’À LA FIN DU MONDE

Un film de Emanuel Pârvu.

 

La « fin du monde » dont il est question dans le titre de ce film, le troisième réalisé par Emanuel Pârvu, n’est pas temporelle mais géographique. L’action se situe à Sfântu Gheorghe, aux confins du delta du Danube, non loin de la ligne de partage des eaux entre le fleuve majestueux et la mer Noire. La région est isolée, accessible seulement en bateau, quelque peu sauvage, habitée par des pêcheurs mais aussi, une fois par an, par des festivaliers (car, aussi curieux que cela puisse paraître, ce lieu retiré accueille, chaque année, un festival de cinéma). De ce festival, il est d’ailleurs fait mention par un policier dans l’une des répliques du film.

Pourquoi un policier ? Parce que c’est l’un des fils rouges du film que l’enquête policière (ou peut-être faudrait-il dire la non-enquête policière) qui a lieu à la suite de l’agression d’Adrian, un garçon de 17 ans venu passer ses vacances chez ses parents, dans ce village « à trois kilomètres de la fin du monde ». Adrian paraît être un adolescent sans histoire, lié à une jeune fille qui lui est promise. En vérité, un soir où il est sorti avec elle en boîte de nuit, c’est accompagné d’un garçon, un touriste de passage, qu’il s’en retourne chez lui. Quand plus tard, celui qu’on surnomme Adi rentre à la maison, son visage est tuméfié et son corps marqué d’ecchymoses. Accompagné par ses parents au commissariat de police pour y faire sa déposition, la vérité éclate bientôt au grand jour. Si Adi a été roué de coups, c’est parce que deux garçons du village l’ont aperçu occupé à embrasser son compagnon, le touriste, ce qui avait suscité leur colère.

Commence alors une sorte de théâtre à ciel ouvert au cours duquel chaque protagoniste y va de ses arguments, mais d’arguments contradictoires, car, d’un côté, chacun exprime, d’une manière ou d’une autre, son homophobie, mais, d’un autre côté, il est de l’intérêt de la quasi-totalité des intervenants d’étouffer le plus possible cette affaire (c’est pourquoi j’ai parlé auparavant de non-enquête). Du policier au prêtre en passant par les parents d’Adrian et par les parents des deux agresseurs (en particulier le père à qui les parents d’Adrian doivent de l’argent), tous s’efforcent de minimiser l’affaire tout en réprouvant le mal (ou ce qu’ils prétendent être le mal) commis. Car, en fait de mal, ce n’est pas tant les deux agresseurs qui sont désignés mais plutôt Adrian. Le pire, pour lui, survient au nom d’une religion, d’un christianisme des plus rétrogrades, au point que ses parents contraignent Adrian à subir un exorcisme après l’avoir ligoté. Cette séance est la plus perturbante du film et on notera comment, hypocritement, le prêtre s’efforcera de justifier ses actes quand il sera interrogé par le policier à ce sujet.

Que ce soit par intérêt, par honte ou par peur, chacun a ses bonnes raisons de ne pas protéger le jeune homme agressé, voire même de tout faire pour l’enfermer comme s’il était désormais dans une prison à ciel ouvert. Toutes les solutions sont envisagées pour le « soigner » : médicaments, bible sous l’oreiller, séjour chez les moines…L’homophobie la plus crasse est à l’œuvre, tout comme la médiocrité de tout ce petit monde. Adi ne peut compter que sur une aide, celle de Llinca, la jeune fille du village à qui il est promis et qui lui reste attachée en l’acceptant tel qu’il est. Bien présente tout en étant discrète, elle est le plus beau personnage du film, celle qui, avec Adi, donne le meilleur de l’humain.  

Bien servi par l’ensemble des actrices et acteurs, tourné dans des paysages de toute beauté, le film reste, d’un bout à l’autre, fidèle à une esthétique sobre et dépouillée qui convient parfaitement à un tel sujet.   

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Drame
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