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GRAND TOUR

Un film de Miguel Gomes.

 

Les films romanesques de Miguel Gomes ressortissent à une esthétique singulière, reconnaissable entre toutes. Ainsi l’on retrouve dans Grand Tour ce qui faisait le charme si particulier de Tabou (2012). Chaque plan, dans Grand Tour parfois en couleurs, le plus souvent en noir et blanc, semble aussi pensé, aussi réfléchi, que le serait un tableau ou un dessin de grand maître. Comme l’action du film se déroule vers 1918-1920, on peut y déceler un hommage au savoir-faire des cinéastes de ce temps-là, du temps du muet. Mais il ne s’agit, en aucun façon, d’un hommage compassé, tant le film paraît animé de son souffle particulier. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’il faut saluer le formidable travail accompli par Miguel Gomes et son équipe, travail d’autant plus prodigieux qu’une grande partie du film a été tournée en studio, alors qu’il n’y est question que de voyages incessants en Asie.

L’expression « grand tour », qui donne son titre au film, désignait jadis le voyage qu’accomplissaient les jeunes nobles anglais en Italie et dans les villes d’Europe qui leur paraissaient dignes d’intérêt, parfois aussi dans les colonies. C’était une manière de parfaire sa formation alors que l’on avait entre vingt et vingt-cinq ans. Évidemment, en reprenant cette expression, l’intention de Miguel Gomes est de la subvertir. Edward (Gonçalo Waddington), le jeune Britannique dont il est question dans le film, est en poste dans une administration de Birmanie lorsqu’il apprend que Molly (Crista Alfaiate), sa fiancée qu’il n’a pas vue depuis sept ans, arrive de Londres avec la volonté de procéder au mariage. Edward achète un bouquet de fleurs mais, tout à coup, se ravise, distribue les fleurs au tout venant et prend la poudre d’escampette. Si grand tour il y a, par conséquent, ce n’est pas tant dans le but de se cultiver que pour fuir un mariage qui l’importune.

Néanmoins, en vérité, le voyage prend tout de même l’allure d’un circuit de découvertes, pas seulement de beaux paysages et de beaux monuments, mais de l’humain dans sa diversité : le voyage ou plutôt les voyages car le film se divise en deux sections, l’une centré sur Edward, l’autre sur Molly, cette dernière d’ailleurs parvenant, sans être très informée, à recouper le périple du premier, tous deux sillonnant les pays d’Asie, de la Birmanie à la Chine en passant par la Thaïlande, Singapour, les Philippines, le Vietnam et le Japon. Miguel Gomes n’est pas avare en touches fantaisistes ou humoristiques. Alors qu’une voix off accompagne fréquemment, tout à tour, chacun des deux voyageurs, le cinéaste se livre à une sorte de patchwork d’images, les unes clairement documentaires (des scènes prises dans un théâtre de marionnettes thaïlandais, d’autres filmées dans un karaoké chinois où un homme chante « My way », la chanson de Sinatra), les autres purement romanesques, conçues et réalisées en studio, mettant en scène les deux voyageurs et la galerie de personnages qu’ils rencontrent : un prince héritier, des moines japonais, une jeune Vietnamienne se liant d’amitié avec Molly et lui étant totalement dévouée, des voleurs de chevaux, un prêtre missionnaire…

Sans nul doute, Miguel Gomes veut indiquer, au moyen de ces rencontres et des péripéties qu’il narre, une certaine déliquescence de l’époque coloniale mais, et c’est à mettre à son crédit, il le fait sans jamais appuyer exagérément son propos, en conservant toujours une certaine distance et un ton délibérément romanesque. Le film de Miguel Gomes, s’il se distingue par une grande recherche formelle et par son arrière-fond politique, reste d’abord un concentré d’histoires, celle d’un voyageur empreint de vague à l’âme et celle d’une voyageuse à qui rien ne peut enlever sa joie de vivre. C’est de tout cet ensemble que le film tire son charme très particulier.  

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer

 

Tag(s) : #Films
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