Un film de Michel Hazanavicius.
Ce film d’une grande beauté, déchirant et vivifiant à la fois, nous donne l’occasion de découvrir avec émerveillement un talent jusque là caché de Michel Hazanavicius, le cinéaste remarqué des OSS 117 et de The Artist, talent pour le dessin qu’il aurait été dommage de ne pas faire fructifier, pour reprendre une expression des Evangiles. Cela aurait été d’autant plus regrettable que le cinéaste se révèle être un dessinateur de grand talent, passionné par cet art depuis l’âge de 10 ans. Dans La plus précieuse des marchandises, avec ses personnages aux contours bien affirmés, l’inspiration semble provenir et de la peinture de Gustave Courbet et des estampes japonaises, ce qui se traduit de superbe manière dans le rendu des scènes de forêts, de paysages divers, tout comme dans les scènes d’intérieur. Le trait change pour tendre vers davantage d’épure lorsque le cinéaste se risque à figurer les camps de concentration nazis, ce qu’il parvient à faire de manière respectueuse et juste autant qu’il est possible, trouvant dans la fameuse toile d’Edvard Munch, Le Cri, en la démultipliant, le moyen de signifier, sans prétention de l’englober bien sûr, la souffrance des déportés des camps de la mort. Pour la première fois dans l’histoire du cinéma, un film parvient à représenter, si l’on peut employer ce mot, l’horreur des camps sans risque d’être taxé d’obscénité. Parce qu’il s’agit de dessins et non d’images réelles.
Mais venons-en à l’histoire elle-même, tirée d’un récit de Jean-Claude Grumberg. Si elle prend d’emblée l’allure d’un conte, c’est bien sûr pour en détourner les codes afin de mieux rendre compte de l’horreur des camps d’un côté, comme je l’ai dit, mais aussi et surtout de la pureté des cœurs de ceux, de celles à qui l’on donna, plus tard, le titre de « justes ». En l’occurrence, ici, la voix off du narrateur (celle, ô combien appropriée, de Jean-Louis Trintignant), après son « il était une fois », nous introduit à l’histoire du « pauvre bûcheron » et de la « pauvre bûcheronne » vivant chichement au fin fond d’une forêt de Pologne. Or, un jour, alors que la pauvre femme, ayant vu arriver un train qu’elle croit rempli de marchandises et ayant supplié Dieu de faire tomber du train l’une d’entre elles pour les secourir, elle et son mari, elle se retrouve en présence… d’un bébé, jeté du train. La voilà, « la plus précieuse des marchandises », qu’elle ramène à la maison comme un don du ciel. Pour elle, le fait d’avoir une bouche de plus à nourrir n’est d’aucun poids. Mais son mari, lui, le bûcheron, n’est pas du même avis, non seulement parce qu’il faudra nourrir l’enfant mais, davantage encore, parce qu’il sait que celles et ceux qu’on transporte dans les trains sont juifs, autrement dit ce sont, à ses yeux, des « sans-cœurs » (c’est ainsi qu’on lui a appris à les désigner).
Le film multiplie, dès lors, les trouvailles narratives, scénaristiques, visuelles. Ainsi, lorsque, lassée des mauvaises humeurs et des colères de son homme, la bûcheronne lui prend la main pour la poser sur la poitrine de l’enfant. Et voilà que le bûcheron revêche perçoit les battements du cœur du bébé, battements qu’il ne cesse de ressentir par la suite dès qu’il pose la main sur quelque chose. C’est la révélation qui le transforme du tout au tout : « Les sans-cœurs ont un cœur ! Les sans-cœurs ont un cœur ! », répète-t-il alors à l’envi ! Le récit progresse dans une manière de poignant suspense, allant et venant des péripéties vécues par la bûcheronne et l’enfant à la destinée des parents du bébé, en particulier du père, ce qui explique la présence de scènes évoquant l’horreur des camps. D’autres personnages interviennent également, une place toute particulière devant être accordée à un soldat à la « gueule cassée » qui, nonobstant la hideur de son visage, fait preuve d’une aussi belle pureté de cœur que la bûcheronne elle-même.
Car, s’il faut chercher la fine pointe de ce film dans lequel interviennent, outre celle de Jean-Louis Trintignant, les voix de Dominique Blanc, Grégory Gadebois et Denis Podalydès, c’est bien celle-là qui s’en dégage : qu’il convient de faire place au cœur, à ce qu’il y a de meilleur dans le cœur humain, et que « le reste est silence ». À ce sujet, on pourra peut-être estimer, et c’est le seul bémol, que la musique d’Alexandre Desplat y prend un peu trop de place. Ce qui n’enlève pas grand-chose, à vrai dire, aux formidables qualités du film !
9/10
Luc Schweitzer
LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES - Bande-annonce Officielle - Michel Hazanavicius (2024)
Un film de Michel Hazanavicius, adapté du conte de Jean-Claude Grumberg avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Denis Podalydès et Grégory Gadebois. Au cinéma le 20 novembre. ...