Un film de Julien Colonna.
Ce film, le premier long-métrage de Julien Colonna, bien qu’explorant une terre et des thématiques qui sont loin d’être inédites au cinéma, le fait d’une manière suffisamment singulière pour ne pas donner l’impression d’un déjà-vu. D’abord, il faut souligner l’évident rejet, de la part du réalisateur, de tout embellissement, de tout idéalisme de personnages englués dans les rouages infernaux de la violence. Pas question, ici, d’héroïsation d’aucune sorte. La violence qui gangrène la Corse n’est pas belle à voir et ceux qui la pratiquent ne sont, en aucune façon, des héros.
Mais ce film, heureusement, ne se limite pas à être une chronique, une de plus, de l’interminable guerre des clans qui mine l’île de beauté. Ce qui lui donne sa particularité, c’est de se focaliser sur la relation d’un père, Pierre-Paul (impressionnant Saveriu Santucci), et de sa fille Lesia (magnifique Ghjuvanna Benedetti), une adolescente de 15 ans.
Alors que c’est l’été et qu’elle profite de la plage, elle est soudainement emmenée par un motard jusqu’à une villa dissimulée dans le maquis. C’est là que Lésia retrouve son père, entouré de ses hommes. C’est alors que la jeune fille découvre la réalité sur son père, un homme qui fomente les assassinats de ses ennemis d’un côté et qui est leur cible de l’autre. Autrement dit, dans ce milieu-là, soit on traque quelqu’un d’autre, soit on est soi-même traqué par quelqu’un. Ou, si l’on préfère, soit on est le chasseur, soit on est le chassé.
Telle est la réalité que découvre la jeune Lésia, dans une proximité, une complicité de plus en plus intense avec son père, d’autant plus intense que les jours de ce dernier sont fort probablement comptés. Pierre-Paul initie Lésia à la chasse justement, la chasse aux sangliers, mais qui sait si l’intention n’est pas aussi de la préparer à un autre genre de chasse. Julien Colonna filme avec justesse et précision la progression de l’intimité entre père et fille, parfois dans le silence, d’autres fois dans les confidences, les échanges verbaux. Mais avec toujours un fond de tension palpable dans chacune des scènes. Même le visage de Lésia se transforme, doux et encore marqué par l’enfance à certains moments, dur et butté à d’autres, comme si l’adolescente avait hâte de devenir adulte.
Julien Colonna a parfaitement réussi son pari, celui de n’édulcorer en rien la complexité des personnages, écartelés entre douceur et rudesse, tendresse et brutalité, et portant, malgré eux, l’héritage d’une histoire de rivalités dont on n’imagine même plus qu’elles puissent s’arrêter un jour.
8/10
Luc Schweitzer
LE ROYAUME Bande Annonce (2024)
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