Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

CONCLAVE

Un film d’Edward Berger.

 

C’est, sans nul doute, un des événements qui, quand il a lieu, peut alimenter bien des fantasmes et des curiosités. Qui n’aimerait pouvoir se glisser comme une souris dans la chapelle Sixtine durant un conclave pour voir ce qui s’y passe ? Or, par définition, c’est une assemblée enfermée, sous clef, tenue au secret et dont on sait que les membres sont divisés, grosso modo, entre conservateurs et réformistes. Sachant cela, on n’est pas surpris de voir paraître ce film aux allures de thriller, adapté d’un roman de Robert Harris.

Nous voici donc en présence d’un groupe de quelques 120 cardinaux venus des quatre coins du monde pour élire un nouveau pape. N’y a-t-il donc aucun rôle féminin dans ce film ? Mais si, mais si, et c’est justement l’un de ses ressorts que ces présences féminines que, d’abord, on remarque à peine mais qui, à l’occasion d’un des rebondissements scénaristiques, prennent une place non négligeable dans sa trame. Quelles sont ces présences féminines ? Celles de religieuses, bien évidemment, puisqu’il s’agit d’un conclave. Bien sûr, elles ne sont pas présentes pendant les votes, à l’intérieur de la chapelle Sixtine, mais ce sont elles qui servent les cardinaux à table et s’occupent de toutes leurs commodités. Des petites mains, en somme, auxquelles les cardinaux ne prêteraient guère attention si ne survenait pas, précisément, quelque événement les obligeant à sortir de leur entre-soi.

Précisons-le, il y a, dans ce film, des éléments qui, dans la réalité, ne pourraient sans doute pas avoir lieu. J’en ai repéré deux. D’une part, la trame du film repose en partie sur la présence d’un cardinal que le pape défunt avait nommé « in pectore », en secret. Ce cas de figure existe réellement, le pape pouvant créer cardinal un évêque sans que ce soit annoncé officiellement, l’évêque en question se trouvant dans un pays à risque où il est préférable que sa présence reste discrète. Mais, puisqu’il lui faut éviter toute publicité, lorsqu’un conclave a lieu, ce cardinal n’est pas appelé à y siéger. Or, dans le film, le cardinal Benitez (Carlos Diehz), évêque de Kaboul, se présente, à la surprise de tous, au conclave et, qui plus est, il est appelé à y jouer un rôle majeur. D’autre part, on pourra, à bon droit, rester pantois quant à la résolution finale du film, à un retournement que je ne peux dévoiler, bien sûr, mais qui, aussi peu vraisemblable qu’il soit, garde le mérite de questionner l’Église dans ses archaïsmes. C’est pourquoi, pour ce qui me concerne, j’ai accueilli la surprise ultime du film avec amusement, sans me soucier de crédibilité. 

Ce film, qui fonctionne, il est vrai, au moyen de personnages stéréotypés, n’en garde pas moins sa puissance et sa virulence en questionnant habilement l’Église sur ses divisions internes (conservateurs contre réformateurs), ses scandales d’abus qui n’épargnent pas les cardinaux eux-mêmes, ses secrets plus ou moins bien gardés et ses archaïsmes, à commencer par la place qui y est accordée aux femmes. On se régale de voir s’affronter les principaux candidats à la succession papale : le canadien Tremblay (John Lithgow), au sujet duquel circule la rumeur selon laquelle le pape défunt l’aurait destitué juste avant de mourir, l’américain Bellini (Stanley Tucci), chef de file des réformistes, le nigérian Adeyemi (Lucian Msamati), l’italien Tedesco (Sergio Castellitto), chef de file des conservateurs et le cardinal-doyen britannique Lawrence (Ralph Fiennes) qui, à l’occasion d’une de ses interventions, déclare souhaiter que l’on élise « un pape qui doute, qui pèche, qui demande pardon et qui aille de l’avant » !

Bien sûr, il ne manquera pas de critiques qui, dérangés par les portraits peu flatteurs des éminents cardinaux aux comportements peu exemplaires, s’efforceront d’en minimiser la portée en soulignant l’aspect romanesque du film et donc, à leurs yeux, totalement invraisemblable. Pour ce qui me concerne, au contraire, si je ne nie pas qu’on a affaire à un scénario aux rebondissements quelque peu rocambolesques, je n’en reste pas moins convaincu que le film garde sa pertinence en interrogeant, à bon escient, une Église affaiblie, malade de ses divisions et, semble-t-il, incapable d’entreprendre les réformes qui la libérerait de ses archaïsmes. Quant à ce qui peut paraître extravagant dans le film, réfléchissons-y à deux fois avant de crier à la totale invraisemblance. Il y a eu tellement de révélations de scandales impliquant des hommes d’Église, y compris des évêques, depuis plusieurs années, que, pour ma part, je ne vois vraiment pas pourquoi les cardinaux devraient en être à tout prix préservés ! 

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer

 

 

Tag(s) : #Films, #Thriller, #Eglise
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :