LEURS ENFANTS APRÈS EUX

Un film de Ludovic et Zoran Boukherma.

En 2018, la lecture de Leurs enfants après eux, le roman de Nicolas Mathieu, m’avait fait forte impression, d’autant plus qu’il y était question de la vallée de la Fensch (rebaptisée vallée de la Henne) et de la ville de Hayange (rebaptisée Heillange), autrement dit d’un terroir proche de mon propre berceau d’origine. Le romancier y décrivait avec justesse des vies engluées dans la médiocrité, des parents ayant baissé les bras et, pour certains d’entre eux, sombrant dans l’alcool (essentiellement les hommes, les femmes, surtout celles ayant pu divorcer, s’en sortant mieux), des enfants, des adolescents rêvant de partir sans jamais réellement parvenir à leurs fins. Nicolas Mathieu, déclinant son récit sur quatre étés, de 1992 à 1998 en passant par 1994 et 1996, caractérisait admirablement la couleur du temps, de cette époque-là, autant que celle d’un territoire passablement sinistré. Il savait aussi exprimer le désir d’autre chose, l’aspiration à une vie meilleure, conjointement à l’incapacité de nommer les représentations des idéaux : c’était le cas, en particulier, quand le personnage principal du roman, Anthony, entrait dans une église, regardait les sculptures et les images sans rien comprendre mais tout en ressentant en lui-même « un truc ». Comment mieux exprimer le fossé qui s’est creusé d’une génération à une autre, les jeunes n’ayant plus de vocabulaire pour désigner les images de la foi catholique ?

Malheureusement, l’adaptation cinématographique de Ludovic et Zoran Boukherma n’a pas su retenir tout ce qui faisait l’intérêt et la force du roman. Certes, l’on y retrouve les mêmes personnages, à commencer par les deux adolescents rivaux, ennemis, Anthony (excellemment joué par Paul Kircher) et Hacine (Sayyid El Alami). L’on y retrouve aussi les parents d’Anthony : Patrick (Gilles Lellouche), le père, accro à l’alcool, et Hélène (Ludivine Sagnier), la mère qui, bien que passablement désabusée, se fait la complice de son rejeton, ainsi que Steph (Angelina Woreth), celle dont tombe raide amoureux Anthony. Précisément, les réalisateurs ont choisi de se focaliser, d’une part sur l’histoire d’amour presque désespérée d’Anthony pour Steph, d’autre part sur les relations de l’adolescent avec ses parents d’un côté, avec son « ennemi », Hacine, de l’autre.

Cela donne un film qui ne manque pas de qualités, qui se regarde sans ennui (même s’il commence par ces mots redoutables « On s’emmerde », prononcés par Anthony !). Mais, comparée au roman, l’histoire perd de sa force, elle paraît réduite, on n’y retrouve pas le même regard, la même intensité, la même justesse pour caractériser et l’époque et le lieu. Il ne suffit pas de prendre bien soin de situer le dernier été à l’heure de la coupe du monde de football ni de s’appliquer à filmer la carcasse imposante et délabrée du haut-fourneau de Hayange pour rendre pleinement compte des espoirs et des désillusions de ce coin de Lorraine. Le déterminisme social qui imprégnait le roman n'apparaît pas de manière aussi prégnante dans le film. Et, puisqu’il s’agit d’un film, on pourrait même en critiquer le manque de couleur locale. L’accent mosellan tout comme les particularités langagières (en Moselle, on place systématiquement un article devant les prénoms, par exemple) n’ont pas été retenus par les réalisateurs, ce qui fait que, nonobstant les quelques plans sur le haut-fourneau, on pourrait presque situer le film n’importe où ailleurs qu’en Moselle. Et puis, et malheureusement, les réalisateurs ont laissé de côté certains des passages qui contribuaient fortement à la puissance du roman, entre autres, j’y reviens, l’entrée dans une église d’Anthony et son incapacité à décrypter ce qui se présentait à ses yeux. Cela aurait pu donner lieu à une scène très significative dans le film. Mais non, hélas, les réalisateurs ne l’ont pas retenue !  

7/10

                                                                       Luc Schweitzer

Leurs Enfants Après Eux | Bande-annonce officielle | Paul Kircher, Angelina Woreth, Gilles Lellouche

Août 92. Une vallée perdue dans l'Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s'ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup...

https://www.youtube.com/watch?v=K6Y-P_FQoI8