Un film de Delphine et Muriel Coulin.
Publié en août 2020, Ce qu’il faut de nuit, court roman de Laurent Petitmangin, m’avait assez fortement impressionné (on en trouvera la recension, sur mon blog, à la date du 19 novembre 2020). L’auteur avait remarquablement tenu compte des particularités locales, l’action de son roman étant située dans le nord de la Meurthe-et-Moselle, dans une région frontalière proche du Luxembourg où l’on s’exprime en intégrant des mots d’allemand au français et en ajoutant systématiquement un article à tous les prénoms. Et, surtout, Laurent Petitmangin avait su rendre compte de ce phénomène inquiétant de la montée du RN, en particulier chez les jeunes, dans une région qui, auparavant, était traditionnellement ancrée à gauche.
L’adaptation de Delphine et Muriel Coulin n’a pas retenu, malheureusement, les spécificités du parler local. Ni Vincent Lindon ni les jeunes acteurs Benjamin Voisin et Stefan Crepon ne s’expriment comme le font des Lorrains du nord de la Meurthe-et-Moselle. Cela étant dit, on n’en tiendra pas rigueur aux réalisatrices, d’autant plus que leur réalisation ne manque pas de qualités. Comparé au roman, le film paraît dépouillé, tant il se concentre encore davantage que le livre sur ce trio familial : Pierre (Vincent Lindon), le père, et ses deux fils, Félix (Benjamin Voisin), l’aîné, que tout le monde surnomme Fus (de Fußball, le football en allemand) et Louis (Stefan Crepon), le cadet.
Veuf, Pierre élève seul ses deux garçons et prend cette tâche tellement à cœur qu’il a renoncé à toute activité, de militance ou de syndicalisme en particulier, en dehors de ses heures de travail à la SNCF. Son temps libre, il le consacre entièrement à ses fils, exagérément sans doute. Pourtant, l’inattendu survient. Alors que Louis, comme un élève studieux, voit s’ouvrir devant lui les portes de la Sorbonne, Fus, beaucoup moins doué que son cadet pour les études et sans véritables perspectives, se met à fréquenter un groupe extrémiste de droite. Pour Pierre, quand il découvre cette réalité, c’est un coup de tonnerre : lui, qui a toujours prôné et défendu des convictions humanistes de gauche et qui pensait les avoir inculquées à ses fils, se retrouve complètement déboussolé, d’autant plus que, quoi qu’il fasse, quelles que soient ses tentatives, rien ne semble pouvoir ramener Fus à la raison. Pierre va jusqu’à le suivre à une réunion d’extrémistes se tenant dans une usine désaffectée de la région, ce qui donne lieu à des scènes impressionnantes qui font froid dans le dos. Rien ne semble pouvoir réparer la fracture qui sépare désormais les membres de cette famille, pas même la passion commune pour le football.
On remarquera l’absence de figures féminines dans l’entourage du père et de ses garçons. Et bien sûr, dans le groupe des extrémistes, même si l’on perçoit de rares présences féminines, c’est l’exaltation de la virilité qui est clairement vantée. Il faudra que, suite à certains événements, Fus ait affaire à la justice pour qu’interviennent des femmes dans son cheminement.
Resserré par rapport au roman, le film de Delphine et Muriel Coulon subjugue par la qualité d’une mise en scène qui se concentre sur le trio des acteurs principaux, aidant le spectateur à en partager, autant qu’il est possible, les émotions, les incertitudes, les désarrois. Benjamin Voisin incarne avec force et justesse le garçon à la dérive qu’est Fus, tandis que Stefan Crepon parvient avec subtilité à rendre compte des tiraillements du frère cadet désireux de ne pas couper tout lien avec Fus mais sans aucunement partager ses engagements. Mais c’est à Vincent Lindon que revient la palme de l’interprétation (il fut d’ailleurs sacré meilleur acteur à la Mostra de Venise) : il exprime, tout au long du film, à la perfection toute la palette des sentiments contradictoires qui le traversent. Que ressent un père voyant partir un de ses enfants à la dérive ? Que peut-il faire ? Et qui peut répondre avec assurance à de telles questions ?
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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JOUER AVEC LE FEU Bande Annonce (2025) Vincent Lindon
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