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LA CHAMBRE D’À CÔTÉ

Un film de Pedro Almodóvar.

 

On ne peut pas ne pas être impressionné, à la vue de ce film, non seulement par l’emploi (pour la première fois dans un long-métrage d’Almodóvar) de la langue anglaise mais surtout par la multiplicité et la vitalité des couleurs. On sait bien que le réalisateur espagnol aime parer ses films de couleurs vives mais, dans celui-ci qui regarde la mort droit dans les yeux, pourrait-on dire, on en est d’autant plus subjugué. Cela indique que, s’il s’agit de se confronter à la mort, ce n’est pas pour autant de manière morbide mais, plutôt, lumineuse, même si, paradoxalement, il a fallu, pour celle qui, dans le film, a choisi de programmer sa mort, en passer par le côté sombre d’internet (le darknet, seul moyen de pouvoir se procurer une « pilule létale »).

Inspiré de Quel est donc ton tourment ?, livre de la romancière américaine Sigrid Nunez, le nouvel Almodóvar traite donc d’un sujet très contemporain : la mort dans la dignité ou mort assistée, mais par un biais très particulier, différent de ce qu’on a pu voir dans des films précédents (Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé, par exemple). Ici, plutôt que de mort assistée, il s’agit d’un suicide programmé, sans besoin d’aucun témoin direct puisqu’il s’agit d’avaler une pilule. Cependant, celle qui a opté pour cette fin planifiée éprouve le besoin d’être accompagnée dans les derniers jours de sa vie. Elle partira seule, au jour et à l’heure qu’elle a choisis, mais en sachant que son amie est là, non loin d’elle, dans la chambre d’à côté, son amie à qui elle a donné ce signe : « Quand tu trouveras la porte de ma chambre fermée, cela signifiera que je me suis décidée à partir. »

Les deux femmes se sont retrouvées presque par hasard. C’est à une séance de dédicaces qu’Ingrid (Julianne Moore) apprend incidemment que Martha (Tilda Swinton), une amie perdue de vue depuis plusieurs années, souffre d’un cancer incurable. Elle décide aussitôt de lui rendre visite, visite qui se prolonge tout naturellement en un accompagnement dans la durée, dans la fidélité, jusqu’à l’heure de la mort de Martha. Dès lors, Pedro Almodóvar, très à son aise dans un tel registre, s’emploie à capter le face-à-face entre ces deux femmes : l’une, Ingrid, écrivaine en pleine santé au faîte de sa renommée et, cependant, terrorisée par l’idée de la mort ; l’autre, Martha, ex-reporter de guerre qui a donc côtoyé la mort, plus d’une fois, dans son parcours et qui la voit venir, à présent, de manière apaisée. Les nombreux dialogues, faussement simples, laissent entrevoir beaucoup de profondeur.

Almodóvar, dont on sait à quel point il se plaît à filmer ses actrices, compose ici sa partition d’un peu de ténèbres et de beaucoup de lumière en sublimant ses deux actrices dont on ne dira jamais assez combien elles trouvent là des rôles à leur mesure : Tilda Swinton dont l’apparence, la silhouette, le visage émacié sont en total contraste avec les couleurs vives qu’affectionne le réalisateur, comme si elle était déjà un peu dans l’autre monde ; Julianne Moore habitant son rôle de manière si convaincante qu’on a le sentiment de tout ressentir avec elle, par exemple sa sidération lorsque, un matin, elle trouve la porte de Martha fermée, croyant que son amie s’est donné la mort, alors que c’était un simple courant d’air qui l’avait claquée.

Pedro Almodóvar s’est gardé de réaliser un film, à proprement parler, militant. Il ne s’agit pas tant de défendre une cause que de se confronter, paisiblement en somme, à cette réalité de plus en plus répandue de nos jours, la volonté de mourir dans la dignité, comme on le dit habituellement. Le réalisateur ne donne pas de leçon mais il invite à une réflexion calme, éloignée des invectives. Il le fait admirablement, tout comme, à l’occasion d’un des flashbacks du film, il exalte l’amour aux dépens de la guerre. À quelques reprises, en effet, le film fait un saut dans le passé de Martha. C’est ainsi que nous la voyons en pleine séance de reportage pendant un conflit au Moyen-Orient, à l’occasion d’une rencontre avec deux religieux catholiques, des frères carmes, décidés à rester dans ce pays en plein chaos. Or, Martha apprend de la bouche de son collègue photoreporter que ces frères entretiennent une relation sexuelle l’un avec l’autre, l’un d’eux ayant aussi couché avec le journaliste. « Et le péché ? », demande Martha. « Qu’est-ce que ce péché, si c’en est un, au regard des horreurs de la guerre ?! » Le sexe n’est-il pas « le meilleur rempart contre la peur de la mort » ?

On le voit, cette parenthèse transgressive n’est pas sans rapport avec le sujet principal du film. Et, en fin de compte, comme dans Les Morts, la nouvelle de James Joyce si formidablement adaptée au cinéma par John Huston sous le titre Gens de Dublin, il n’est plus qu’à regarder tomber la neige, indifféremment, sur les vivants et sur les morts.

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

 

Tag(s) : #Films
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