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A REAL PAIN

Un film de Jesse Eisenberg.

 

C’est en octobre dernier, en lisant Nein, nein, nein ! de Jerry Stahl (le livre est chroniqué sur mon blog), que je découvrais que des tours opérateurs proposaient des voyages organisés sur les lieux de la Shoah, en particulier en Pologne. C’est précisément à l’un de ces voyages mémoriels que participent les deux principaux protagonistes de A Real Pain : David (Jesse Eisenberg, devant et derrière la caméra), jeune père de famille new-yorkais, et Benji (Kieran Culkin), son cousin. Si nous sommes familiers d’un certain type de cinéma, nous connaissons bien le jeu de Jesse Eisenberg puisque nous l’avons apprécié dans de nombreux films, entre autres de Woody Allen. Fidèle à son style, le voici, au début de A Real Pain, multipliant les appels téléphoniques inquiets tandis qu’il se dirige vers l’aéroport pour y retrouver son cousin. Or, celui-ci est déjà sur place depuis un long moment parce que, explique-t-il à David, il aime l’atmosphère de ce lieu. En vérité, comme nous le découvrons rapidement, les caractères des deux cousins sont antithétiques. Ce qu’ils ont en commun, c’est l’angoisse mais, chez Benji, elle se dissimule maladroitement sous une forme d’instabilité permanente, d’imprévisibilité, alors que David, lui, semble immuablement vouloir rester discret, sinon en retrait et effacé.

Si tous deux se sont inscrits à ce voyage mémoriel, c’est non seulement pour y retrouver les traces de leur judéité et des massacres commis durant la Shoah mais aussi pour faire mémoire de leur grand-mère, une rescapée des camps de la mort récemment décédée et dont ils veulent voir la maison, celle où elle résidait jadis, en Pologne. Le film prend donc la forme à la fois d’un road trip et d’un buddy movie mais tout en se distinguant du lot commun du fait même de la personnalité de Benji. En anglais, l’expression « a real pain » indique à qui nous avons affaire. Elle désigne, en effet, une « vraie douleur » mais aussi un « vrai casse-pieds », ce qui correspond tout à fait à Benji. En vérité, il faut aussitôt préciser que, si celui-ci se comporte souvent de façon insupportable, il n’en est pas moins, à contrario, quelqu’un qui, parce que c’est un extraverti, qui suscite de l’empathie et qui dégage un charme communicatif. Tout le contraire de David, personnage toujours en retrait, craintif et préoccupé.

Avec leur guide qui, à l’occasion, se fait recadrer par Benji, et les quatre autres touristes du groupe, ils entreprennent donc cet improbable voyage au pays de la Shoah, de Varsovie à Lublin en passant par le camp de Majdanek. Les scènes filmées par Jesse Eisenberg oscillent entre l’extrême sobriété (en particulier lors de la visite du camp de la mort de Majdanek) et le grotesque, en particulier lorsque, sur l’instigation de Benji, qui n’en rate pas une, tout le monde se fait photographier par David (une fois de plus en retrait) devant des statues d’hommes en armes. Au gré des visites, se nouent des relations plus profondes entre les visiteurs. Les personnalités se révèlent, entre autres celle d’un Rwandais rescapé des massacres qui eurent lieu dans son pays et qui s’est converti au judaïsme ! Le film avance ainsi, par petites touches, tandis que nos visiteurs cherchent ou devinent ce qui reste du temps jadis, avant et pendant l’horreur de la Shoah, quelques ruines rappelant le ghetto de Varsovie, les lieux où étaient construits une synagogue, une école hébraïque, la boutique d’un tailleur ou une boulangerie…

D’apparence simple, tout entier irrigué, pourrait-on dire, par la musique de Chopin, le film laisse percevoir sa profondeur et sa gravité sans jamais les rendre pesantes. Que peut bien signifier ce voyage pour ceux qui l’entreprennent ? Quel sens cela a-t-il de faire un tel voyage en regard des souffrances endurées par ceux qui vécurent l’holocauste dans leur chair ? Le film se garde de donner des réponses mais suggère beaucoup. On n’oubliera ni les larmes de Benji ni ce besoin de rester à l’aéroport pour y regarder les gens, simplement, sans rien faire, comme en attente de la réponse qui ne vient jamais.    

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Buddy movie
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