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THE BRUTALIST

Un film de Brady Corbet.

 

« Film-monde » ou « film-monument » : tels sont les superlatifs qu’énoncent beaucoup de critiques depuis la sortie sur nos écrans de The Brutalist de Brady Corbet, un film certes démesuré du fait de sa durée (3h35 coupées par un entracte de 15 minutes !) et de ses ambitions (retracer l’itinéraire d’un architecte juif hongrois, rescapé de la Shoah et venu aux États-Unis pour y donner la mesure de son talent mais pour, en fin de compte, s’y heurter à la perversité non seulement d’un faux mécène mais, par ce biais, du système américain dans son ensemble). Précisons cependant aussitôt qu’on est tout à fait en droit de ne pas partager l’enthousiasme qui semble avoir gagné un grand nombre des commentateurs du film. En ce qui me concerne, en tout cas, l’engouement suscité par le film ne m’a pas gagné et, si je reconnais que, d’un point de vue formel, on a affaire à une œuvre qui impressionne, du point de vue de la narration il n’en est pas de même.

En vérité, on a affaire à un film programmatique dont le contenu et la visée nous sont mis sous les yeux d’entrée de jeu. Cela commence par des plans chaotiques, heurtés, que d’aucuns comparent au procédé qui prévaut tout au long du Fils de Saul (2015) de László Nemes (un film que je n’ai pas apprécié, dois-je le préciser) avant de découvrir que nous sommes sur un navire arrivant à New-York avec ses passagers, des migrants venus d’Europe avec des rêves pleins les yeux. C’est le cas de László Toth (Adrien Brody) mais l’inévitable plan sur la statue de la Liberté, qu’on est en droit d’attendre, nous la montre à l’envers, tête en bas. Comment exposer de manière plus directe, plus évidente, le programme qui va nous être exposé durant toute la durée du film ? Le fameux rêve américain doit forcément se changer en cauchemar puisque la Liberté a la tête en bas ! Nous voilà aussitôt mis en parfum et de manière pas exactement subtile !

La suite du film n’a pour but que d’étayer ce point de vue qui nous a été assené dès le départ. László Toth, architecte s’inspirant du Bauhaus, rencontre le riche industriel Van Buren qui nous est d’emblée présenté comme un sale type, un raciste bouffi d’orgueil. Néanmoins, c’est cet homme qui se résout à commander à Toth un monument, une folie architecturale, ce que, bien sûr, l’architecte, qui ne demande qu’à travailler, ne peut refuser. Or, bientôt, et de plus en plus au fil du récit, le richissime industriel met à nu sa perversité : son mépris de classe, son antisémitisme plus ou moins larvé, son racisme et sa brutalité. En somme, à lui seul, il symbolise la perfidie et le mensonge du prétendu rêve américain.

Tout se précise et s’aggrave lorsque László Toth peut enfin faire venir auprès de lui son épouse et sa nièce qui étaient restées bloquées en Europe. Toutes deux sont fortement marquées par les épreuves qu’elles ont subies : la femme de Toth est en fauteuil roulant tandis que sa nièce s’est enfermée dans un mutisme qu’elle ne brisera que bien plus tard, en particulier pour annoncer que sa décision de quitter l’Amérique « pourrie » est prise. Elle préfère rejoindre Israël. L’un des proches de Van Buren l’avait clairement affirmé : « nous ne faisons que vous tolérer ! ».

Remarquons-le maintenant : ni László Toth ni sa femme ni sa nièce ne disent jamais un mot des terribles épreuves endurées en Europe, avant leur venue en Amérique. Ce n’est qu’à la toute fin du film, à l’occasion d’une séquence conclusive censée se dérouler en 1980, bien après les événements racontés dans l’essentiel du long-métrage, que, au cours d’un discours prononcé en hommage à l’architecte László Toth et à son œuvre, est affirmé clairement que celui-ci est un rescapé du camp de Buchenwald tandis que sa femme, elle, survécut à celui de Dachau. Cela étant dit, comment ne pas songer à tout ce qui a précédé, à cet exercice en forme de CQFD s’efforçant de démontrer la fausseté du soi-disant rêve américain, comparé à ce dont il n’est question, de manière explicite, qu’au bout du film, la Shoah ? Comme si tout pouvait être mis sur le même plan, le cauchemar américain et la Shoah ! Et cela, d’autant plus qu’aujourd’hui, les tentations sont fortes, en Europe comme dans l’Amérique de Trump, de minimiser, voire de nier, les horreurs dont se rendirent coupables les nazis.  

5/10

 

                                                                       Luc Schweitzer

 

Tag(s) : #Films, #Drame
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