VERMIGLIO OU LA MARIÉE DES MONTAGNES

5 Avril 2025

Un film de Maura Delpero.

Dans la lignée de L’Arbre aux sabots (1978), chef d’œuvre d’Ermanno Olmi qui mettait en scène des histoires de familles dans une grande ferme proche de Bergame à la fin du XIXème siècle, voici Vermiglio ou La Mariée des montagnes de Maura Delpero, réalisatrice qui signe là, me semble-t-il, son deuxième long-métrage de fiction. Comme dans le film d’Olmi, ce qui nous est proposé, c’est un regard en arrière sur une Italie ou un morceau d’Italie aujourd’hui disparu. Nous sommes, cette fois, dans les Alpes italiennes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et c’est le quotidien d’une famille de ce temps et de ce lieu-là qui reprend vie sous nos yeux ébahis.

Doucement, sans se presser, avec grand soin, la réalisatrice nous fait entrer, si l’on peut dire, dans l’intimité de cette famille. Alors qu’au dehors, tout est recouvert de neige en l’hiver 1944, voici des draps blancs dans une maison de montagne, voici un bébé qui pleure et, bientôt, voici les mains des enfants qui viennent, tour à tour, pour recevoir leur bol de lait du matin. Les mêmes enfants se retrouvent ensuite à l’école avec leur propre père faisant fonction de maître et les autres enfants de la classe. La leçon commence avec la récitation du « Notre Père » en latin.

La guerre paraît avoir épargné ce village perdu dans la montagne mais il en est question car, bien sûr, des enfants du pays ont été enrôlés. Et puis, il y en a deux, deux garçons, un de Vermiglio accompagné d’un Sicilien prénommé Pietro qui ont déserté et sont venus se planquer là en attendant des jours meilleurs. Mais, outre Cesare, le père de famille et maître d’école, ce sont, parmi la dizaine d’enfants de sa maisonnée, les filles qui ont la faveur de la réalisatrice. Elle les caractérise avec grand soin : Ada, férue de la religion catholique qui lui est inculquée au point qu’elle note tous ses péchés dans un carnet et s’oblige à effectuer des pénitences de plus en plus sordides ; Lucia, éprise de Pietro, l’ « étranger » qui lui fait parvenir des billets doux ; et Flavia, maligne joviale, qui sert de confidente aux deux autres.

Le film se déploie sur quatre saisons, celles que Vivaldi a mise en musique avec un talent si impressionnant que Cesare, qui possède un gramophone, n’a pas à en acheter une interprétation gravée sur disque. « C’est de la nourriture pour l’âme », affirme-t-il à sa femme qui lui reproche de ne pas avoir utilisé l’argent pour nourrir ses enfants. Mais Cesare n’est pas maître d’école pour rien. Å la maison, outre les quelques disques qu’il écoute volontiers, il y a des livres, entre autres un atlas rempli de cartes qui fascinent les enfants. Cesare est un personnage ambigu, à la fois bienveillant et sévère, qui dissimule des cigarettes et un album secret dans un tiroir fermé à clef, ce qui n’a pas échappé à la rusée Flavia, elle qui se cache volontiers sous le bureau de son père pendant que celui-ci se livre à ses occupations.

Des décisions sont à prendre, des choix à effectuer, quand on a autant d’enfants. Une des filles, mais une seule, pourra poursuivre ses études : ce sera Flavia. Les parents n’ont pas les moyens de faire davantage. Lucia, elle, est demandée en mariage par Pietro et la noce a lieu. Mais que réservent les lendemains ? Le film est simple et beau tout en laissant percevoir de bien grandes douleurs. Et l’on admire comment la réalisatrice a su traiter, avec grande finesse, les questions de désir et de honte (dans une société marquée par la religion catholique omniprésente et culpabilisatrice). Jane Campion, la grande cinéaste néo-zélandaise, a dit, très justement, de Vermiglio ou La Mariée des montagnes que c’est un « cadeau ». Cadeau auquel le jury de la Mostra de Venise 2024, présidé par Isabelle Huppert, a décerné son Grand Prix. Récompense ô combien méritée !

8,5/10

Luc Schweitzer

VERMIGLIO OU LA MARIÉE DES MONTAGNES Bande Annonce (2025)

https://www.youtube.com/watch?v=XFpFnjflbrM

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