Un film de Kelly O’Sullivan et Alex Thompson.
Il est des personnages dont on perçoit rapidement qu’un grand malheur est survenu dans leur vie et qu’à cause de cela, ils sont comme enfermés, emprisonnés dans leur souffrance. Dans ce film réalisé par une femme et un homme qui forment un couple dans la vie, c’est le cas. Il faut bien une trentaine de minutes avant qu’on soit informé précisément de ce qui est survenu dans la vie de Dan (Keith Kupferer), un homme d’une cinquantaine d’années travaillant sur des chantiers de voirie du côté de Chicago, mais, dès les premières scènes, on comprend que cet homme taiseux, mais qui parfois se met en colère, est en souffrance. Sharon (Tara Mallen), sa femme, ne respire pas davantage la joie de vivre. Quant à leur fille Daisy (Katherine Mallen Kupferer, leur vraie fille dans la vie), elle est une adolescente insolente jusqu’à la drôlerie et, elle aussi, meurtrie par un drame survenu quelque temps auparavant.
Ce n’est donc qu’au bout d’une trentaine de minutes que nous apprenons qu’il manque quelqu’un dans cette famille, un fils disparu qui n’est plus qu’une « lumière fantôme » (Ghost light). Mais ce mot, Ghostlight, désigne aussi, en anglais, la lampe qu’on garde allumée dans les théâtres même quand il n’y a plus personne, pour des raisons de sécurité, au cas où quelqu’un devrait revenir sur les lieux, et peut-être aussi pour conjurer les mauvais sorts. Or, c’est précisément le théâtre qui devient lieu de salut pour Dan, puis aussi pour Daisy et, enfin, également, pour Sharon. En effet, dans le quartier où il travaille sur un chantier, Dan fait par hasard (mais y a-t-il vraiment un hasard ?) la connaissance de Rita (Dolly de Leon), une femme vive originaire des Philippines. C’est elle, Rita, peut-être parce qu’elle a perçu, elle aussi, la détresse intérieure de Dan, qui l’entraîne, presque de force, jusqu’à la salle où sont réunis des comédiennes et comédiens désireux de monter Roméo et Juliette, la célèbre pièce de Shakespeare.
À priori, Dan n’a rien d’un comédien et pourtant, même si ses premiers essais ne sont guère concluants, Rita et, bientôt, avec elle, les autres comédiens et comédiennes croient en lui. Dans un premier temps, Dan ne leur dit rien de son malheur, de sa souffrance, de son sentiment de culpabilité pour avoir perdu son fils, et il ne dit rien non plus de sa nouvelle activité à Sharon et Daisy, alors que le voilà confronté à une pièce en forme de drame qui se conclut par la mort tragique de Roméo et de Juliette. Petit à petit cependant, tout ce monde apprend la vérité et prend sa part de l’événement : Daisy devient même, à son tour, l’une des actrices de la pièce. En somme, ce à quoi nous assistons, c’est à une forme de catharsis. Le drame tel que l’a écrit Shakespeare et qui ressemble à celui qui a causé la mort du fils de Dan et Sharon, ce drame est libérateur en ce sens qu’il propose de mettre des mots, des phrases, sur ce qui restait enfoui dans les cœurs meurtris de Daisy, Sharon et surtout Dan.Aucun des actrices et acteurs de ce film ne sont connus, mais qu’importe, ils sont tous formidables, d’autant plus que les dialogues sont fort bien écrits. Le couple de réalisateurs a su ménager sa place à chacune et à chacun et l’on n’a pas de difficulté à vibrer avec eux, à ressentir leurs joies et leurs peines et combien parfois il peut être ardu de faire, comme on dit, son deuil.
8/10
Luc Schweitzer