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JEUNES MÈRES

Un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne.

 

« Nous mettons les marges de la société au centre de nos cadres », expliquent les frères Dardenne à propos de leurs films et des personnages qu’ils mettent en scène. « Nous avons le souci, ajoutent-ils à leur sujet, que ce ne soient jamais des gens qui se comportent en victimes, mais qui se battent pour sortir de là où ils sont. » C’est cette volonté et ce souci qui les ont conduits à imaginer les histoires conjointes de jeunes mères, des adolescentes déjà mamans pour qui se posent des questions difficiles et des choix cruciaux, pour elles d’une part, pour leurs enfants d’autre part. Les Dardenne avaient d’abord conçu l’histoire d’une seule jeune mère mais, à la suite d’une visite dans une « maison maternelle », un centre d’accueil pour celles qu’on appelait jadis filles-mères, ils ont opté pour un film choral. Ce sont donc les destinées de cinq d’entre elles qui se déploient sur l’écran, de manière fragmentée, avec ce souci constant d’être au plus près de chacune d’elles, sans jamais cependant privilégier l’une aux dépens des trois autres.

Leurs parcours se ressemblent plus ou moins non seulement parce qu’elles sont très jeunes et déjà mères (ou sur le point de l’être) mais aussi parce qu’elles sont toutes affectées par un contexte de misère sociale et affective. Néanmoins, chacune a son histoire particulière et l’on n’a pas de peine à les caractériser. Il y a Jessica qui, tenant son enfant contre elle, s’étonne de ne rien ressentir, Jessica qui est habitée par une obsession : rencontrer sa mère (India Hair), une mère qui, peu après sa naissance, l’avait placée dans une famille d’accueil. Il y a Perla dont le désir est de pouvoir habiter bientôt dans un appartement avec le père de son enfant, un garçon dont elle est très amoureuse mais qui ne répond pas à ses attentes. Il y a Julie qui, elle aussi, a un petit ami avec qui elle s’efforce de lutter pour en finir avec leur dépendance commune à la drogue. Enfin, il y a Ariane, une jeune femme qui semble plus adulte que les trois autres mais dont la fragilité provient de sa relation avec sa propre mère, une mère qui voudrait accaparer l’enfant d’Ariane alors qu’elle est manifestement incapable d’en prendre soin comme il faudrait.

Pour plusieurs de ces jeunes mères, c’est le rapport à leur propre mère qui interfère dans les choix qu’elles ont à prendre. Pour certaines, c’est la relation plus ou moins complexe avec un garçon, le père de leur enfant. Le désir de chacune, c’est de s’efforcer de ne pas reproduire les erreurs commises par leur mère, erreurs dont elles estiment qu’elles sont les victimes, ce qui ne signifie pas qu’elles n’aiment pas ou plus leur mère, pas du tout. Mais elles souhaitent avant tout le bonheur de leur enfant, quitte à devoir le confier à une famille d’accueil quand elles jugent n’être pas de taille à l’élever elles-mêmes. Ce qui est remarquable, dans chacune de ces histoires non dénuées ni de violence ni de souffrance, c’est, dans tous les cas, la possibilité de recourir à un environnement qui fait du bien. Tout le film montre, en effet, combien la présence des puéricultrices et psychologues de la maison maternelle est bénéfique. On voit à l’œuvre non seulement des professionnelles mais aussi et surtout des femmes d’un dévouement et d’une patience à toute épreuve. Mais ce qu’on constate aussi, à l’occasion de plus d’une scène du film, c’est la solidarité qui prévaut entre les jeunes mères elles-mêmes. Quand l’une est en difficulté, il y en a toujours une autre pour lui venir en aide ou lui porter secours. Naïma, la cinquième des jeunes mamans du film, le jour où elle fête son départ de la maison maternelle, ne peut le faire sans remercier chaleureusement toute l’équipe qui l’a entourée et accompagnée durant son séjour. Les Dardenne ont manifestement choisi de réaliser un film optimiste, résolument axé sur l’espoir, malgré les contextes sociaux compliqués de chacune des protagonistes. Cet espoir résonne superbement à la fin du film à l’occasion d’une visite d’une des jeunes mères à l’une de ses ex-professeures qu’elle a choisie pour être témoin de son mariage : elle récite alors L’Adieu, magnifique poème de Guillaume Apollinaire qu’elle a gardé en mémoire et que la professeure à la retraite se met bientôt à chanter en s’accompagnant au piano sur l’air que composa Léo Ferré, avant que de jouer un allègre mouvement d’une sonate de Mozart. On ne pouvait mieux quitter les jeunes mères du film, qu’on croirait interprétées par des novices, presque comme si l’on avait affaire à un documentaire, alors qu’en vérité les Dardenne ont sélectionné de jeunes actrices qui s’étaient déjà produites soit au cinéma soit au théâtre. Elles méritent tous les éloges.  

8,5/10

 

                                                                       Luc Schweitzer

 

Tag(s) : #Films, #film choral
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