Un film de Grégory Magne.
À l’intérieur de la caisse de résonance des violons, des altos et des violoncelles se trouve une fine baguette d’épicéa qui porte le nom d’âme. C’est là précisément, à l’intérieur d’un violoncelle, tout près de son âme, que se niche la caméra au début de ce film. Un violoncelle, oui, mais pas n’importe lequel ! Le luthier qui l’examine est affirmatif : ce n’est rien moins que le « stradivarius san Domenico », un instrument mythique, un rêve de violoncelle qui coûte, évidemment, une fortune. Qu’à cela ne tienne ! Astrid (Valérie Donzelli, irrésistible), fille d’un entrepreneur spécialisé dans les ouvrages routiers et fin mélomane, est déterminée à accomplir le rêve de son père décédé : acquérir le fameux violoncelle afin de l’adjoindre aux deux violons et à l’alto, eux aussi des stradivarius, déjà en sa possession, afin de les faire jouer ensemble une partition originale, un quatuor composé par un certain Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot, très convaincant).
Le plus difficile, dans cette histoire, ce n’est pas tant d’acheter le violoncelle que de créer suffisamment d’harmonie entre les musiciens afin qu’ils servent l’œuvre et elle seule plutôt que leurs égos évidemment démesurés. De ce point de vue, le film est on ne peut plus passionnant. Car c’est un grand défi que de faire jouer ensemble quatre musiciens qui ne se connaissent que de nom (sauf deux d’entre eux qui ont déjà joué ensemble mais se sont fâchés !). Trois d’entre eux avaient été choisis par le concepteur du projet, le père d’Astrid : le premier violon, Georges (Mathieu Spinosi), musicien de grand talent mais particulièrement imbu de lui-même ; le deuxième violon, Peter (Daniel Garlitsky) : la violoncelliste, Lise (Marie Vialle). Quant à l’altiste, son père étant resté hésitant, c’est Astrid qui l’a désignée en la personne d’Apolline (Emma Ravier), ce qui crée d’emblée une sorte de déséquilibre dans le groupe car elle est bien plus jeune que les trois autres et, fière de ses 700 000 followers, s’amuse à prendre quantité de selfies pour les partager sur les réseaux sociaux. Les trois autres la snobent, tout en étant forcés de reconnaître ses dons de musiciennes.
Les égos des musiciennes et musiciens, la différence d’âge et de comportement entre Apolline et les trois autres, la découverte et l’apprentissage d’une partition nouvelle : ce sont autant d’obstacles difficiles à surmonter, même pour des concertistes chevronnés. De quoi s’arracher les cheveux pour Astrid qui a pris soin de les réunir dans une demeure isolée de la région de Reims, proche de l’église où doit avoir lieu le concert. Une seule solution lui vient à l’esprit : convaincre le compositeur de la pièce musicale que doit interpréter le quatuor de venir à la rescousse en dirigeant les répétitions. Non sans hésitation, Charlie Beaumont se résout à venir sur les lieux et à prendre les choses en main. Pour lui non plus, cependant, rien ne va de soi, ni de se retrouver face à des musiciens qui n’ont pas l’habitude de jouer ensemble, ni de se réapproprier une partition qu’il considère comme ancienne dans sa production.
Sans nul besoin de grands effets, le réalisateur s’applique à filmer cette histoire de défi avec précision et avec justesse. Tout dans ce film est très convaincant, d’autant plus que les actrices et acteurs du quatuor sont de véritables musiciens dans la vie. Quelques scènes suffisent pour qu’on sache qu’on a affaire à des musiciens de talent. À cela s’ajoute la musique elle-même, confiée aux bons soins du compositeur de musiques de films Grégoire Hetzel. Sa partition est réellement superbe, si belle qu’elle mérite bien, en effet, d’être jouée par des stradivarius !
8/10
Luc Schweitzer