Un film de Aitor Arregi et Jon Garaño.
« Pourquoi le faux semble-t-il parfois avoir plus de poids que le vrai ? » C’est cette question troublante que les deux réalisateurs de ce film ont cherché à explorer en se fondant sur l’histoire d’un mythomane, histoire vraie qui fit l’objet d’un livre de Javier Cercas, L’Imposteur. Bien avant l’explosion des falsifications sur les réseaux sociaux et, maintenant, au moyen de l’IA, un certain Enric Marco se fit passer pour un survivant des camps de concentration de l’Allemagne nazie et il le fit avec tant de conviction qu’il devint le porte-parole des anciens déportés espagnols des camps de la mort.
Le film commence à Flossenbürg, en Bavière, en 1999. Marco arpente les lieux de mémoire du camp dans lequel, prétend-il, il fut prisonnier, un camp dans lequel 30 000 déportés furent tués entre 1938 et 1945. L’homme joue bien son rôle, le personnage qu’il s’est inventé. Mais quand, plus tard, il demande un certificat prouvant qu’il fut bien interné dans ce camp, son nom ne figurant pas dans la liste des ex-détenus, il est obligé de bafouiller des explications, prétextant avoir été déporté sous un faux nom. La vérité, les réalisateurs du film nous la font comprendre rapidement : Enric Marco a trompé un pays tout entier en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas.
Pendant une trentaine d’années, à partir de 1960, année où les ex-déportés des camps commencèrent à s’organiser, Marco fut l’invité le plus prisé des conférences ou des écoles qui souhaitaient accueillir un rescapé de la barbarie nazie afin qu’il en témoigne devant les élèves. Il racontait l’enfer des camps d’une manière si criante de vérité qu’on en redemandait. Tout naturellement, il fut élu au poste de président de l’association des victimes espagnoles de l’Holocauste. Les membres de l’association ne pouvaient trouver meilleur représentant de leur cause commune. Marco ne se ménageait pas, se donnait à fond dans son rôle de témoin.
Tout le monde le considérait comme une figure morale en Espagne, au point que, quand il fut question d’organiser une grande commémoration en 2005, c’est lui, bien sûr, qui fut désigné pour tenir un discours. Tout le monde, ai-je écrit, sauf une personne, un historien qui, curieux d’en savoir davantage, eut la surprise de découvrir que tout n’était que supercherie et Marco un imposteur qui s’était bien rendu en Allemagne mais au titre de la collaboration du régime de Franco avec l’Allemagne et non pas pour être déporté au camp de Flossenbürg. Tout le monde avait cru à l’histoire qu’il racontait alors que tout n’était que mensonge.
Menteur, mythomane, tricheur invétéré, Marco ne put perdurer si longtemps dans le personnage qu’il s’était inventé que parce qu’il correspondait à un certain idéal, au besoin d’un pays et d’une société de croire en un héros jusqu’à quasiment le vénérer. Ce genre d’affaire n’est pas unique : il y a eu des cas du même ordre dans l’Eglise catholique, entre autres avec Tim Guénard dont la belle histoire d’ex-détenu soi-disant converti était largement mensongère. Le film d’Aitor Arregi et Jon Garaño met en évidence ces mécanismes qui conduisent quelqu’un à pouvoir berner tout le monde (ou quasi) pendant des années sans être démasqué. Le plus surprenant, dans le cas de Marco, c’est que, même après avoir été confondu par un historien, il ne cessa pas, jusqu’à sa mort, de clamer sa bonne foi. Il mourut à l’âge de 101 ans !
7,5/10
Luc Schweitzer
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MARCO, L'ÉNIGME D'UNE VIE - Bande-annonce en VOSTFR
Enric Marco est le président de l'association des victimes espagnoles de l'Holocauste. À l'approche d'une commémoration, un historien conteste son passé d'ancien déporté. Marco se bat alors p...