Un film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo.
Dans Ressources humaines (2000), son premier long-métrage sur grand écran, Laurent Cantet mettait en scène, avec beaucoup de justesse, l’histoire d’un conflit entre un père, ouvrier soudeur dans une usine, et son fils, frais émoulu d’une école parisienne et engagé comme stagiaire aux ressources humaines de la même usine. Un père du côté des ouvriers, un fils du côté de la direction. Cette dialectique, nous la retrouvons, mais inversée, dans Enzo, le dernier film écrit par Laurent Cantet et, du fait de son décès en avril 2024, réalisé par celui qui fut son ami de longue date, le cinéaste Robin Campillo. Cette fois, en effet, ce sont des parents de milieu aisé dont un des deux fils, Enzo, le cadet, 16 ans, en échec scolaire, fait un stage sur un chantier en tant qu’apprenti maçon.
Les premières scènes du film donnent le ton et font entrer, de manière habile, dans le vif du sujet. Sur le chantier où il travaille, Enzo (joué par Eloy Pohu, remarquable), les mains abimées et pleines d’ampoules, échoue à faire ce qu’on lui demande, au point qu’il est vertement réprimandé par son chef. Décidé à ne pas garder cet apprenti qui lui semble ne pas être à sa place, celui-ci ramène Enzo chez lui, dans le but d’expliquer aux parents de l’adolescent qu’il vaut mieux qu’il fasse autre chose. Or, quand le chef découvre, à sa grande surprise, la maison cossue, avec vue sur la mer Méditerranée et piscine, qu’habite Enzo, quand il aperçoit les parents de ce dernier puis quand il leur parle, son discours est bien plus modéré que celui qu’il avait prévu de leur dire. Il n’est plus question de renvoyer Enzo de son stage.
Cependant, c’est bel et bien la question que s’est posée le chef de chantier qui traverse tout le film : quelle est la place qui convient à Enzo ? Cette question de la place qui revient à chacun, que chacun doit trouver, est d’ailleurs présente dans toute la filmographie de Laurent Cantet, depuis Ressources humaines. Elle se pose ici de manière particulièrement pénétrante, d’autant plus qu’Enzo a un grand frère qui, lui, semble vouloir suivre la même voie que ses parents, sans rien renier de leur train de vie. Les parents (joués par Pierfrancesco Favino et Elodie Bouchez), s’ils sont désarçonnés par Enzo, tâchent cependant de rester le plus possible à son écoute. C’est l’adolescent qui est mal dans sa peau, pas à sa place, mal à son aise, perdu et cherchant sa voie.
À la question de trouver sa place du point de vue du travail s’ajoute celle de trouver sa place du point de vue de la sexualité et du désir. On peut supposer qu’il s’agit là d’une marque propre au réalisateur, Robin Campillo, plus qu’à Laurent Cantet. Toujours est-il qu’une relation de proximité se noue entre Enzo et Vlad (Maksym Slivinskyi), un ouvrier du chantier originaire d’Ukraine. Ils sont d’ailleurs deux Ukrainiens à travailler sur le chantier. Pour eux aussi, se pose la question de la place qui doit être la leur : rester en France ou rentrer en Ukraine pour y prendre les armes et combattre l’armée russe ? Mais une amitié naît et grandit entre Vlad et Enzo, amitié qui, pour l’adolescent, se mue en troubles sensuels. Dans une des scènes, on a vu Enzo recevoir chez lui une ravissante jeune fille. Mais non, c’est bien Vlad qui l’attire et dont il est séduit et non pas la jeune fille. Encore une question de place, en somme ! Qu’est-ce qui me convient ? Quelle est mon identité ? Pour quoi suis-je fait ? Qu’est-ce qui peut me rendre heureux ? Enzo capte à merveille les tourments juvéniles, cette quête de soi-même que connaissent tous les adolescents mais qui, pour certains d’entre eux, se pose de manière particulièrement complexe.
8/10
Luc Schweitzer