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SUITE INOUBLIABLE

Un roman de Akira Mizubayashi.

 

Au cœur de tous les romans de Akira Mizubayashi, il y a un amour immodéré de la musique, à commencer par celle de Jean-Sébastien Bach, et une passion pour les instruments de musique. Dans Âme brisée, il s’agissait du violon. Dans Suite inoubliable, c’est le violoncelle. C’est cet instrument qui fait le lien entre des personnages vivant à des époques distantes les uns des autres et sur deux continents, l’Asie, en particulier le Japon, et l’Europe, en particulier la France.

Cela commence avec un jeune homme du nom de Ken Mizutani, virtuose du violoncelle, à qui, parce qu’il a remporté le premier prix du concours international de Lausanne en 1939, est accordé le privilège du prêt d’un instrument prestigieux, un violoncelle de 1712, d’une valeur inestimable, fabriqué par le luthier vénitien Matteo Goffriller. Dès lors et plus que jamais, le violoncelliste voudrait ne plus se consacrer qu’à servir la musique. Mais la folie des hommes, celle qui s’est emparée, entre autres, du Japon, en décide autrement, en ces années où ce pays se voue au spectre hideux et terriblement meurtrier de la guerre au nom d’idéaux nationalistes. Le jeune prodige du violoncelle ne peut échapper à l’appel à servir un pays en proie au démon de la guerre.

Tout ne s’arrête pas là cependant. Bien des années plus tard, en 2016, c’est un violoncelliste du nom de Guillaume Walter qui, alors qu’il joue en concert le concerto pour violoncelle d’Edward Elgar, perçoit un « imperceptible changement de sonorité » dans son instrument qui n’est autre que le Goffriller de 1712. Le concert peut néanmoins se poursuivre mais, plus tard, appelé à la rescousse, le luthier Jacques Maillard diagnostique une « fracture d’âme » qu’il charge sa collaboratrice Pamina de réparer. Et c’est ainsi, en examinant l’instrument, que cette jeune femme découvre, dissimulée dans le tasseau, une lettre soigneusement écrite, lettre datée du 2 avril 1945 et signée par un certain Ken Mizutani.

Dès lors, le roman prend la forme d’une sorte d’enquête entre l’aujourd’hui et l’hier et ce, d’autant plus qu’il existe un violoncelle exactement semblable au Goffriller de 1712 mais fabriqué beaucoup plus récemment par une femme, une luthière, du nom d’Hortense Schmidt, ayant caché, elle aussi, une lettre dans son instrument, instrument auquel elle a donné le nom de « Pax animae ». Quels sont les liens qui unissent les personnages et les instruments dont il est question dans le roman ? Avec un art consommé du récit polyphonique, Akira Mizubayashi rassemble les morceaux du puzzle afin de composer un roman vibrant d’amour pour la musique et de détestation de la guerre. Et puisque c’est le violoncelle qui est mis à l’honneur, c’est le chant d’un des violoncellistes les plus célèbres qui est convoqué in fine, celui de Pablo Casals (1876-1973) qui sut si bien dire non à la guerre. Ainsi s’exprime Guillaume Walter à la suite d’un concert où il joue les Suites pour violoncelle seul de Bach et Le Chant des Oiseaux de Casals :  « Il paraît que Casals a dit, dans un discours qu’il a prononcé à l’ONU à l’occasion de la remise de la médaille de la Paix, que les oiseaux en Catalogne chantaient : « Peace, peace, peace… ». Nous entendons, en effet, dans ce chant à la fois merveilleux et si profondément triste, sa douleur devant le spectacle des atrocités de la guerre et la force de sa prière pour la paix qui monte vers le ciel à l’image de l’envolée des oiseaux catalans. C’est magnifique, tout simplement. J’aimerais tant que ce chant résonne sur tous les champs de bataille, dans la tête des présidents qui commandent les armées, dans la conscience des soldats qui se livrent à des tueries aussi bien que dans le cœur de ceux qui tirent profit de l’industrie et du commerce des armes… Ce chant, je voudrais le croire, c’est peut-être parce que je suis musicien, possède une puissance susceptible d’attirer l’attention de ceux qui sont capables de rentrer en eux-mêmes dans le calme de leurs passions… ».  

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer

Tag(s) : #Livres, #Romans, #Musiques
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