Un film de Aurélie Saada.
Tant qu’on est jeune, on croit volontiers qu’une fois arrivé à un certain âge, la force des désirs s’amoindrit et finit par disparaître. Si cela se vérifie peut-être chez certains individus, de nombreux témoignages ou confidences apportent la preuve que chez beaucoup d’autres, ce n’est pas le cas. Bien sûr, plus d’un aîné ou d’une aînée sont contraints, pour ne pas heurter leurs proches, de se dominer, mais si l’on pouvait percevoir les pensées et les envies cachées, on serait sans nul doute surpris, sinon choqué, et plus encore quand il s’agit d’une femme, tant les préjugés sexistes restent vivaces.
C’est une histoire de cet ordre que met en scène Aurélie Saada, qui plus est en confiant le rôle principal de son film à Françoise Fabian. Âgée aujourd’hui de 88 ans, elle joue le rôle titre, celui de Rose, une femme censée avoir dix ans de moins (78 ans) et elle le fait avec un naturel et une conviction si grands qu’on ne peut pas ne pas tomber sous le charme. Or, justement, cette femme dont l’âge n’a pas émoussé l’attrait perd, au début du film, celui avec qui elle a passé la majeure partie de sa vie, son mari qui meurt d’un cancer. Aux funérailles, il est question de cette coutume juive qui consiste, pour marquer le deuil, à déchirer un pan de son vêtement : « Il faudra continuer à vivre avec nos cœurs déchirés ».
Or, dans un premier temps, Rose semble, au contraire, avoir perdu le goût de vivre. Elle se laisse aller, n’a plus envie de rien, se néglige, au point que ses enfants en sont honteux, tout en ne sachant pas comment s’y prendre pour lui dire de prendre soin d’elle. Mais cette période de déprime est de courte durée. Bientôt, au gré des circonstances et des rencontres, voilà que Rose se métamorphose. Au cours d’une soirée, entraînée par l’ambiance festive, la voilà qui s’autorise des écarts totalement inédits pour elle : une rasade de vodka par ci et même quelques bouffées d’un joint qui passe par là. À 78 ans, Rose s’engage sur un chemin d’émancipation qui lui met le cœur en joie. Qui plus est lorsque, à une autre occasion, elle en vient à accepter la drague d’un barman bien plus jeune qu’elle ! Tout cela, ce goût retrouvé pour les joies de l’existence, on imagine sans peine que c’est au grand dam de ses enfants qui se demandent si leur mère est devenue sénile, s’il ne faut pas davantage la surveiller, lui interdire de sortir, la gouverner comme une enfant. Peuvent-ils accepter une mère qui aimerait ne pas être cantonnée dans ce rôle mais assumer une vie de femme, tout simplement ?
Chaque fois que Françoise Fabian est à l’écran, chaque fois que la caméra la suit, c’est pour le plus grand bonheur des spectateurs car l’actrice assume son rôle, avec tout son registre allant du plus grand chagrin à la joie la plus totale, avec une parfaite maîtrise. Par contraste, les quelques scènes qui se focalisent sur d’autres personnages paraissent faibles, sinon inutiles, même s’il n’y a rien à reprocher aux autres actrices et acteurs, tous excellents. Mais on apprécie, par-dessous tout, englobée dans une fine description d’un milieu familial fortement marqué par les traditions juives, le cheminement d’une femme qui voudrait précisément ne pas s’enfermer dans les convenances. Le discours qu’elle tient à ses enfants, à la fin du film, résume à merveille ses aspirations. Oui, à 78 ans, une femme peut vouloir vivre encore en tant que femme, et pas seulement en tant que mère !
7,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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ROSE Bande Annonce (2021) Françoise Fabian, Aure Atika, Drame
ROSE Bande Annonce (2021) Françoise Fabian, Aure Atika, Grégory Montel, Pascal Elbé, Drame© 2021 - Apollon Films