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IT MUST BE HEAVEN

Un film de Elia Suleiman.

 

 

Vers la fin de ce film, alors qu’il est à New York, Elia Suleiman se retrouve, chez un producteur, en compagnie de l’acteur et réalisateur mexicain Gael Garcia Bernal. Après s’être entretenu au téléphone avec un interlocuteur de son projet de film, dont il est à peu près sûr qu’il n’aboutira pas, car on veut lui faire tourner en anglais un film sur les conquistadors, ce que bien sûr il refuse, ce dernier fait au producteur la présentation de son compagnon : « C’est un réalisateur palestinien », dit-il. Et il ajoute aussitôt : « Mais ses films sont drôles ». Cette seule réplique résume à peu près tout. Elia Suleiman, à la grande surprise de tous ceux à qui il propose ses projets de films, préfère la légèreté et le burlesque au drame ou à la tragédie. Du coup, on lui répond que certes ses scénarios sont intéressants, mais qu’ils ne sont décidément pas assez « palestiniens » !

Pour notre plus grand bonheur, en effet, Elia Suleiman désamorce tous les clichés. Quand il filme des personnages inquiétants, c’est en fin de compte, toujours, pour se diriger vers une pirouette ou une situation cocasse qui fait sourire. Dans ce film, sans doute son meilleur à ce jour, il se met donc lui-même en scène sous l’apparence d’une sorte de pierrot lunaire qui serait presque totalement mutique. Malgré de notables différences, cela rappelle monsieur Hulot, le personnage qu’interprétait si bien Jacques Tati et qui n’avait pas son pareil pour dénicher les petites drôleries de la vie. Elia Suleiman est du même acabit : il observe d’un œil amusé tout ce qui se déroule autour de lui pour en faire la substance de ses films.

Et cela fonctionne à merveille. Qu’il soit chez lui, à Nazareth, ou à la recherche d’un producteur à Paris, puis à New York, partout, il se délecte de « l’humaine comédie » : c’est le nom si bien trouvé d’une librairie parisienne, apparaissant, lors d’une des scènes, à l’écran. Quel que soit le lieu, Elia Suleiman fait figure d’étranger, y compris à Nazareth où il a affaire à un voisin envahissant qui ne se gêne pas pour venir cueillir les fruits de son citronnier. Y a-t-il un endroit où un Palestinien peut se sentir chez lui ? C’est la question que pose le film et dont Elia Suleiman voudrait connaître la réponse. À New York, il va jusqu’à consulter un tireur de cartes pour savoir s’il y aura un jour réellement une Palestine…

En attendant, le cinéaste préfère sourire plutôt que pleurer et le moins qu’on puisse dire, c’est que son humour est communicatif. Plutôt que de faire un film ouvertement politique, ne vaut-il pas mieux observer les bizarreries et les absurdités de la vie d’un œil amusé ? Les policiers parisiens se déplaçant sur des rollers, les promeneurs du jardin du Luxembourg à la recherche d’une chaise où s’asseoir, un oiseau au comportement pour le moins obstiné, une femme de ménage de New York nettoyant un écran sur lequel défilent des mannequins, une femme arborant des ailes d’ange et portant le message « free Palestine » poursuivie par des policiers à Central Park, etc. Les situations cocasses s’enchaînent avec bonheur. Il y a même des tanks qui surgissent inopinément à Paris.

Elia Suleiman s’amuse à regarder tout cela sans jamais dire un mot. Il n’y a qu’une exception à cette règle. Arrivé à New York, tandis qu’il voyage en taxi, le chauffeur lui demande d’où il vient. « De Nazareth. En Palestine. », répond Elia Suleiman. Le taximan est si surpris qu’il s’arrête pile, offre la course à son passager et téléphone à sa femme pour lui annoncer la bonne nouvelle. « Je transporte un Palestinien ! De Nazareth ! Nazareth, tu te rends compte ? Comme Jésus de Nazareth ! ».  Il y a de quoi être surpris, en effet !  Sauf si, avec Elia Suleiman, on considère que le monde entier ressemble, d’une certaine façon, à la Palestine ! 

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
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