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JUSQU’AU BOUT DU MONDE

Un film de Viggo Mortensen.

 

Acteur qui en impose, que ce soit dans Le Seigneur des Anneaux ou dans des films de David Cronenberg ou encore dans le bouleversant Green Book (2018) de Peter Farelly, Viggo Mortensen impressionne tout autant en tant que réalisateur. Voici précisément sur nos écrans son troisième film (l’un des trois n’étant pas sorti en France). Pour ce nouveau film, c’est un genre peu exploité de nos jours que le cinéaste revisite, celui du western. Un genre que, pour ma part, j’apprécie grandement, et que je suis heureux, de ce fait, de voir, de temps à autre, abordé à nouveau. Viggo Mortesen en garde les codes bien connus et les décors et les paysages tout aussi immuables. Néanmoins, le film nous est présenté comme renouvelant le genre par sa thématique, en particulier en se revendiquant résolument féministe.  À mon avis cependant, contrairement à ce qu’on prétend parfois, cette thématique n’est nullement inédite dans le genre western. Même dans des films des années 1950, on peut trouver, dans plus d’un western, des rôles féminins qui ont une intensité, un relief, une importance aussi grande que ceux des rôles masculins. Ce qui est nouveau, c’est surtout d’employer le qualificatif « féministe » appliqué à un western.

Mais revenons au film de Viggo Mortensen. Son action se situe dans les années 1860, donc à une époque souvent abordée par les westerns. Un certain Holger Olsen (Viggo Mortensen lui-même) , un immigré danois, s’éprend de Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps), une femme d’origine québécoise, qu’il parvient à convaincre de l’accompagner jusqu’à son ranch du Nevada. Sur place, Vivienne a pour première déconvenue de découvrir que ce fameux ranch n’est qu’une pauvre masure construite sur un terrain aride. Elle se décide néanmoins à rester, à tâcher de rendre ce lieu plus vivable mais aussi à garder une forme d’indépendance en travaillant comme serveuse dans le saloon de la bourgade voisine. Olsen ne peut guère s’y opposer, d’autant moins que lui-même décide de s’engager dans les troupes nordistes quand commence la guerre de Sécession. Vivienne se retrouve donc seule dans son « ranch » isolé et doit faire face à des hommes de tempérament : Rudolph Schiller, un maire corrompu, Alfred Jeffries, un grand propriétaire terrien, et surtout le fils de ce dernier, Weston, homme violent qui a jeté son dévolu sur elle. La violence éclate sans tarder et, quand Olsen revient de guerre, c’est pour retrouver sa femme avec un enfant qui n’est pas le sien. Vivienne et Olsen doivent alors réapprendre à vivre ensemble, au prix d’un changement de regards et d’une possible vengeance.

Nous avons affaire, dans ce film, à un scénario qui n’a rien de foncièrement original dans un western. Cependant, le film réserve de bonnes surprises. Ainsi, un peu comme le faisait jadis John Ford (1894-1973), Viggo Mortensen accorde-t-il autant d’importance, sinon plus, aux scènes de la vie quotidienne, celles où on pourrait dire qu’il ne se passe pas grand-chose, qu’aux scènes d’action, en particulier aux éclairs de violence que j’évoquais précédemment à propos de Weston. Vivienne travaillant au saloon ou peignant l’intérieur de son « ranch » ou cultivant une parcelle de jardin, toutes ces scènes qui semblent ne rien apporter à la dramaturgie du film se révèlent précieuses, autant et plus que ce qu’on appelle « l’action ». N’est-ce pas le meilleur moyen d’apprécier vraiment un personnage que de le voir dans sa vie ordinaire ?

Pour finir, réfléchissons un peu, à nouveau, à l’aspect volontairement féministe du film, aspect pas aussi nouveau qu’on le prétend, dans les westerns, comme je l’ai déjà dit. Par ailleurs, à mon avis, le film de Viggo Mortensen n’est pas aussi féministe qu’on veut bien le dire. Il l’est parce que son héroïne, Vivienne, est une femme qui se refuse à dépendre entièrement d’un homme et, pour ce faire, exige d’avoir un travail et de gagner sa vie. Mais il ne l’est pas jusqu’au bout parce que, face au drame qui est le sien, c’est-à-dire le viol qu’elle a subie de la part de l’ignoble Weston, elle n’a pour recours final que de compter sur Olsen, de retour de la guerre de Sécession. Elle ne peut accomplir sa « vengeance » sans lui. Une curieuse métaphore, récurrente au cours du film, souligne d’ailleurs, à sa façon, cet aspect. Le réalisateur nous a fait découvrir, au moyen d’un flasback, que Vivienne, alors qu’elle était petite fille, appréciait grandement écouter sa mère lui raconter l’histoire de Jeanne d’Arc ! Or, plusieurs séquences oniriques mettent en scène un chevalier en armure s’approchant de la petite Vivienne. Dans un premier temps, le heaume étant baissé, on peut supposer qu’il s’agit de Jeanne d’Arc. Mais non car, dans une séquence suivante, le chevalier relève son heaume et découvre un visage d’homme. Comment comprendre ces scènes dans ce cas sinon comme une sorte de prémonition de ce qui a lieu bien plus tard quand Olsen, de retour de la guerre, un peu comme un chevalier qui revient de croisade, venge sa bien-aimée outragée ? J’ai beau y réfléchir, je ne vois pas en quoi cela s’accorde avec le féminisme revendiqué du film…  

7,5/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

 

 

Tag(s) : #Films, #Western
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