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PASSION SIMPLE

Un film de Danielle Arbid.

 

Dans Peur de rien (2015), Danielle Arbid, cinéaste d’origine libanaise, filmait avec justesse et intensité le parcours d’une jeune fille venue du pays des cèdres à Paris pour y faire des études et y découvrant une forme de liberté, l’autorisant à aller d’une rencontre amoureuse à une autre par exemple. Dans le nouveau film de cette réalisatrice, il s’agit, au contraire, d’une passion non seulement « simple » mais unique. C’est le contraire de la liberté qu’expérimentait la jeune héroïne de Peur de rien. Cette fois, il est question d’une passion si forte qu’elle isole, enferme et rend la femme qui l’éprouve dépendante et soumise. Et totalement incapable de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre.

Cette histoire fut racontée, décortiquée, par le menu, par l’écrivaine Annie Ernaux dans l’ouvrage éponyme paru en 1992. Mère d’un garçon de 11 ou 12 ans, elle vécut, plusieurs mois durant, une relation passionnelle avec Alexandre, un Russe lui-même marié. Dans le film, ces deux rôles sont confiés respectivement à Laetitia Dosch et Sergueï Polunin. La réussite de l’œuvre leur doit beaucoup. Laetitia Dosch, tout particulièrement, joue avec une remarquable conviction son rôle de femme totalement envoûtée par l’homme qu’elle aime.

Ils n’ont pourtant pas grand-chose en commun. Elle enseigne les Lettres en université, fait des recherches sur une écrivaine américaine, tandis qu’Alexandre arbore un corps tatoué, aime le luxe, les grosses voitures et… Poutine ! Mais tout cela n’a pas d’importance, ajoute aussitôt Hélène (c’est son prénom dans le film). En vérité, ce que le film montre à merveille, c’est que, quand on est pris dans une passion amoureuse aussi forte que celle qu’elle éprouve, plus rien n’a d’importance en dehors des rendez-vous avec l’être aimé. Comme elle l’explique à un médecin qu’elle consulte parce qu’elle souffre d’insomnie, elle n’a vécu, pendant les mois qu’a duré cette passion, qu’au rythme des attentes et des rencontres avec Alexandre. Certes, elle a continué à enseigner, à faire ses courses, à s’occuper (un peu) de son enfant, mais de façon purement mécanique, sans être vraiment là. On peut essayer de tromper les autres à ce sujet, mais jusqu’à un certain point. Le garçon d’Hélène a bien vu que sa mère ne se souciait plus de lui comme avant, qu’elle lui faisait des promesses qu’elle ne tenait pas, qu’elle avait même failli le renverser en exécutant une marche arrière avec sa voiture.

Il n’y a pas d’explication quand il s’agit de passion. Le film n’en donne pas, mais il montre à la fois le bonheur et le malheur d’aimer, les rencontres où les corps se mêlent pour se livrer au plaisir, les heures et les heures d’attente entre deux rendez-vous. Quelques scènes particulièrement opportunes montrent le désarroi de la femme seule et dépendante qui attend et espère un appel de l’être aimé tout en se demandant si ce ne sera pas bientôt fini. Dans une église, lors d’un voyage à Florence, ce sont des larmes qui coulent sur le visage d’Hélène. Et à Moscou, où elle a voulu séjourner brièvement pour « respirer l’air » de son bien-aimé, ne ressemble-t-elle pas à un être perdu et éperdu? Le film, rythmé par de judicieux choix musicaux (Ne me quitte pas de Brel chanté en anglais ou The Stranger de Leonard Cohen, par exemple), n’a pas de peine à provoquer jusqu’au bout l’intérêt. En peignant une histoire d’attirance irrépressible et de complicité sensuelle, il interpelle à bon escient. Que reste-t-il des convictions ou des certitudes quand seule la passion domine ? Tous les raisonnements du monde, dans ces périodes-là, n’ont plus aucun pouvoir. 

8/10

 

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films, #Comédie dramatique
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