Un film de Quentin Dupieux.
J’ai été surpris, récemment, de lire, sous la plume d’un critique, que le cinéma de Quentin Dupieux lui paraissait indécrottablement paresseux. Il me semble, au contraire, que les films de ce cinéaste, même s’ils s’enchaînent à un rythme étonnamment soutenu, attestent tous du travail d’un auteur qui conçoit et réalise des œuvres sur le fil du rasoir. Que ce soit dans le genre totalement loufoque qu’affectionne ce cinéaste (Mandibules ou, dernièrement, Fumer fait tousser) ou dans un registre plus réaliste (Le Daim ou Au poste !), dans tous les cas, Quentin Dupieux fait toujours preuve d’une inventivité telle qu’elle pourrait facilement basculer dans le n’importe quoi. Or, à y regarder de près, ce n’est jamais le cas, même quand les films sont les plus farfelus. Et si ce n’est jamais le cas, c’est bien parce qu’on a affaire à un auteur qui, sous des apparences de désinvolture, est attentif jusqu’aux plus petits détails de ses réalisations. Dans une interview accordée à Télérama, Quentin Dupieux le dit à propos de Yannick : « On a frôlé le film merdique plusieurs fois ! ». Quant à Raphaël Quenard, l’acteur principal de ce film, il insiste sur la qualité d’écriture du film et sur l’impossibilité, pour lui, de dévier tant soit peu des dialogues tels qu’ils étaient écrits.
Yannick, qui s’inscrit clairement dans la veine la plus réaliste de Dupieux, n’est pas « un film merdique », bien au contraire. Il est simple, ramassé (il dure 65 minutes), et est presque entièrement filmé dans un lieu unique : un théâtre parisien. Son originalité, c’est de donner la parole à l’un de ceux à qui, normalement, elle n’est pas accordée. Dans un théâtre, ce sont les comédiens, ceux qui sont sur la scène, qui s’expriment. Les spectateurs, eux, assistent à la pièce et se contentent d’applaudir (ou de siffler) à la fin. Or, dans le film de Dupieux, les choses se passent différemment. La pièce, jouée par un trio (Blanche Gardin, Pio Marmaï et Sébastien Chassagne), est un vaudeville banal qui, s’il provoque les rires de quelques spectateurs, ennuie considérablement l’un d’eux, le prénommé Yannick (Raphaël Quenard), qui, n’en pouvant plus, se lève et interrompt les comédiens. J’écrivais précédemment que la parole est donnée à un spectateur. Disons plutôt que c’est un spectateur qui s’en empare, à la stupéfaction des comédiens et du public. Après quelques échanges houleux, le perturbateur est mis à la porte, moqué par les comédiens, mais, furieux, revient bientôt dans la salle avec, cette fois, une arme à la main.
Derrière cette prise d’otages dans un théâtre parisien, apparaît avec évidence un sous-texte politique, une affaire de classes, de gouffre entre des groupes sociaux qui ne se fréquentent habituellement pas. Yannick a fait le déplacement depuis Melun où il travaille habituellement comme gardien de nuit dans un parking (d’où le fait qu’il possède une arme, mais on peut se demander pourquoi il l’a prise avec lui pour se rendre au théâtre – cela n’est pas expliqué). Il prend la peine de préciser son identité : il a peu de jours de congé, en a pris cependant un et a fait le trajet en transport en commun depuis Melun dans l’espoir de passer une soirée de détente. Or la pièce l’ennuie, l’irrite, ne le distrait pas le moins du monde. Et, quand Yannick prend en otages les comédiens, c’est pour leur faire jouer une pièce que lui-même se met à écrire devant eux, une pièce bourrée de fautes de français qui embarrasse considérablement les comédiens. Mais comment faire autrement que de la jouer quand on est menacé par une arme ? Cela étant, le film réserve quelques surprises, dont l’une qui montre que la violence et la menace (à quoi s’ajoute le mépris) ne sont pas que le fait des classes sociales les plus humbles.
Pour tout résumer, on peut dire que Yannick, en se rendant dans ce théâtre qui n’est guère fréquenté que par des blancs issus de la société la plus bourgeoise de la capitale, Yannick est allé dans un endroit où il n’a pas sa place. Ce lieu n’est pas fait pour lui, d’où sa frustration et sa colère. On le voit, ce film de Dupieux, d’apparence très simple, s’avère riche d’un contenu hautement interpellant, sinon provoquant. Ce n’est décidément pas un film de paresseux, sûrement pas.
8/10
Luc Schweitzer
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YANNICK Bande Annonce Finale (2023) Blanche Gardin, Pio Marmaï, Comédie Française
YANNICK Bande Annonce Finale (2023) Blanche Gardin, Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Comédie Française © 2023 - Diaphana distribution
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