Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

RAFIKI

Un film de Wanuri Kahiu.

 

 

L’hélicoptère qui vrombit dans le ciel de Nairobi comme un gros insecte menaçant symbolise, à sa manière, la censure qui condamne ce film d’interdiction dans son propre pays, le Kenya. Pourquoi cet opprobre ? Parce que sa réalisatrice, Wanuri Kahiu, a eu l’audace d’enfreindre un sujet tabou dans ce pays, celui de l’homosexualité, en l’occurrence féminine. Le film a beau avoir été acclamé à Cannes où il a été présenté dans la section Un certain regard, il n’en fait pas moins figure d’objet honteux pour les autorités kenyanes (qui ont néanmoins levé hypocritement l’interdiction de diffusion durant une période de sept jours afin qu’il puisse concourir pour les Oscars !). Reste que, au Kenya, l’on persiste à considérer l’homosexualité comme un crime passible de prison.

Il fallait de l’audace et du courage à Wanuri Kahiu pour aborder ce sujet et, ne serait-ce que pour cette raison, parce que l’homophobie, comme toutes les intolérances, est irrecevable, son film mérite d’être ovationné. Or il se trouve que, de plus, on a affaire à une réalisation de qualité, juste, profonde, sensible, évitant tout piège de voyeurisme et mettant en scène deux actrices confondantes de savoir-faire.

La relation intime qui naît et grandit entre Kena (Samantha Mugatsia) et Ziki (Sheila Munyiva) se complique d’autant plus que chacune est dotée d’un père qui se présente aux élections locales et qui est donc l’adversaire de l’autre. Kena, cependant, vit seule avec sa mère, son père ayant récemment divorcé d’avec celle-ci. L’influence du père et chacune de ses paroles n’en sont pas moins importantes pour la jeune fille qui, au sortir du lycée, aimerait faire des études d’infirmière. Mais sa rencontre avec Ziki bouleverse ses certitudes et ses projets. Cette dernière, apparemment plus extravertie, plus entreprenante, lui affirme, par exemple, qu’elle a les capacités de devenir médecin plutôt qu’infirmière.

Quoi qu’il en soit, il est difficile, voire impossible, dans le quartier de Nairobi où elles résident, de garder secrète la relation intime qui unit bientôt les deux jeunes femmes. Les réactions de l’entourage risquent même d’être très brutales, et elles le sont. Pourtant, la réalisatrice a su se préserver de trop de schématisme, ce qui rend le film d’autant plus authentique et intéressant. Ziki, qui semblait la plus démonstrative des deux filles, se montre, en fin de compte, moins intrépide que prévu. Quant au père de Kena, tout politicien qu’il est et malgré les risques encourus, il sait trouver le regard et les paroles de la bienveillance. D’une certaine façon, il faut le dire, le plus affligeant, dans cette affaire, vient de l’imprégnation des esprits par un christianisme plus ou moins syncrétiste qui ne trouve rien de plus pertinent que d’assimiler le lesbianisme à une possession démoniaque, le pasteur de l’Eglise locale étant le premier à relayer des discours rétrogrades et à vouloir chasser le mal par des prières. Quand je dis « le mal », il s’agit bien évidemment de ce que la religion la plus obtuse considère comme tel ! Ce qu’on peut souhaiter, c’est que ce film, fort bien réalisé, contribue à changer les regards et à convertir les esprits les plus obscurantistes au Kenya… comme dans le reste du monde ! 

8/10

 

                                                                       Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Films
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :