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LE VENT SE LÈVE

un film de Hayao Miyazaki.

 

Pour ce qui sera vraisemblablement son chant du cygne (le maître japonais ayant dit et redit qu'il signait là son dernier long-métrage), Hayao Miyazaki s'inscrit à la fois dans la continuité de ce qu'il a déjà créé et dans une certaine rupture. Continuité parce qu'on retrouve ici quelques-unes des obsessions ou quelques-uns des leitmotivs qui ont agrémenté une grande partie de son œuvre, à commencer par la fascination pour les engins volants et pour tout ce qui vole : cela nous a valu nombre de scènes inoubliables depuis « Nausicaä » jusqu'au dragon du « Voyage de Chihiro » en passant « Kiki la petite sorcière », « Le Château dans le Ciel » et « Porco Rosso ». Mais une autre obsession, beaucoup plus sombre et beaucoup moins poétique, glisse également son épouvante dans ce film ultime : celle des catastrophes et des destructions, que ce soit du fait de la nature (un séisme) ou du fait de l'homme (la guerre). Rupture aussi, disais-je, parce que, pour une fois, Miyazaki n'a pas éprouvé le besoin de recourir aux fantasmagories (en dehors de quelques scènes de rêves) ni aux créatures ni aux divinités dont il a peuplé d'autres de ses films.

En effet, au lieu de puiser son inspiration dans des récits fantastiques ou dans des mythologies, Miyazaki s'est emparé de l'histoire et du destin d'un personnage réel, de l'ingénieur Jiro Horikoshi à qui l'on doit l'invention du chasseur Zero de sinistre mémoire, un avion qui fit des ravages durant la deuxième guerre mondiale. Comment ?, s'étonnera-t-on, après avoir exprimé toute sa vie sa détestation de la guerre, Miyazaki, au soir de son existence, serait-il devenu un affreux belliciste ? Bien sûr que non ! Une telle interprétation du « Vent se lève » serait totalement fallacieuse. Au contraire, ce film indique clairement que la guerre est la pire des folies et que l'emploi du chasseur Zero pour provoquer des carnages s'apparente au détournement d'un rêve que l'on transforme en cauchemar.

On craindra peut-être aussi de perdre énormément sur le plan de la poésie : l'évocation de l'histoire du Japon plutôt que le recours aux récits fantastiques ne rend-il pas le film pesant et sans grâce ? Mais sur ce plan-là aussi, l'appréhension, si elle existe, a vite fait de s'envoler pour laisser place à l'émerveillement. La poésie est présente, plus que jamais, elle se glisse dans la vie, dans le quotidien, dans l'environnement, dans la nature, elle est partout, offrant toute une palette de nuances, du plus clair au plus sombre. Elle est à rechercher, en premier lieu, dans tout ce qui se réfère au titre du film, lui-même emprunté au vers d'un poème de Paul Valéry : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». Et le vent, en effet, est partout : du vent léger qui fait se reconnaître et se rejoindre ceux qui s'aiment en emportant de l'un à l'autre un chapeau, un parasol ou un avion de papier au vent fou qui attise l'incendie ravageant une ville déjà détruite par un séisme, en passant par une autre sorte de vent, celui de l'histoire, qui, comme je l'ai déjà dit, corrompt les rêves afin de les changer en cauchemars.

« Il faut tenter de vivre », aller jusqu'au bout de ses rêves : que ce soit le rêve d'Icare ou le rêve d'aimer, de persévérer dans l'amour malgré la maladie qui ronge la bien-aimée. Jiro Horikoshi qui, à cause de sa myopie, ne peut lui-même être un aviateur, n'en concevra pas moins , à l'exemple de son maître italien Caproni, les meilleurs avions. Et il tentera aussi d'aller jusqu'au bout de l'amour qui le lie à une jeune fille rencontrée lors d'un tremblement de terre. Vivre ses rêves, oui, au risque de les voir emmener où l'on ne veut pas. Vivre son rêve d'aimer, même quand l'amour est compromis par des fragilités.

« Le Vent se lève » ressemble bien à un testament : tour à tour ample, confondant de beauté, puissant, doux, lumineux, bouleversant, sombre, triste... Il y a tout cela, et bien plus encore, dans cet ultime chef d'oeuvre du génial Hayao Miyazaki.

9/10

 

Luc Schweitzer, sscc

Tag(s) : #Films, #Films d'animation
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